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8 octobre 2010 5 08 /10 /octobre /2010 14:56

 

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Mary LoupPropos recueillis par Julie Cadilhac- Bscnews.fr / Illustrations et réponses de Mary-Loup.
" C'est déjà vendre son âme que de ne pas savoir la réjouir" (Albert Camus). Voilà la citation qui accueille vos visiteurs sur votre site. Êtes-vous épicurienne ?
Je ne sais pas trop, j'aime les philosophes grecs et la philosophie en général (c'est une de mes premières lectures), disons que je suis une amoureuse de l'instant présent.
Je suis une grande oisive, et ma peinture se nourrit de mes lectures, de mes réflexions, très souvent de citations plus ou moins philosophiques, mais aussi de beaucoup de musique. Alors je ne peux qu'être en accord avec cette citation d'Albert Camus,
j'essaye de me réjouir chaque jour, de rendre plus léger et poétique chaque instant...c'est également le principe du Reiki (que je pratique depuis deux ans), j'essaye d'être éveillée tout simplement.

Artiste-peintre, illustratrice, graphiste de formation : pour quelle activité penche vos préférences ? Laquelle vous fait vivre pour l'instant ?
Le choix est difficile, je dirais que je suis à 80% artiste-peintre, je suis attachée au fait de m'exprimer librement sans contrainte, et la peinture m'apporte cela. J'aime peindre, me plonger dans l'acrylique et je suis le plus souvent accompagnée de mes pinceaux; même si depuis quelques mois, je redécouvre les joies du dessin en noir et blanc et le plaisir du lagomorphies.jpgtrait. Mon activité d'illustratrice est encore récente, je n'ai illustré que deux livres pour le moment (dont "la sorcière dans le congélateur" écrit par Dorothée Piatek aux éditions Petit à Petit) et quant à mon activité de graphiste, je le suis surtout de formation, je réalise de temps en temps des travaux graphique (des flyers, des pochettes d'albums...) toujours en lien avec l'illustration.
Cependant ces trois activités qui sont très liées, ne me font pas encore vivre. C'est une question que l'on me pose très souvent, et je ne peux m'empêcher de répondre qu' être artiste et en vivre, est bien difficile de nos jours...Cependant la peinture m'apporte autre chose que l'argent, une certaine sérénité, de l'assurance, de la légèreté, c'est un choix de vivre de peu de choses mais une grande liberté...!!! Je reste assez réaliste sur la dureté du domaine artistique, du moins sur le plan financier, la patience est de rigueur dans ce domaine, et ce dans n'importe quelle activité artistique, mais je reste confiante et j'y crois..!! Dans mon cas, la peinture est un besoin, une soupape poétique vitale !
Vos personnages tirent à la fois du monstre et de l'enfant espiègle, je me trompe ?
Je ne sais pas trop, en tout cas, ce qui est intéressant dans la vision que l'on porte sur mes personnages, c'est qu'elle est à chaque fois changeante.
Certains voient tout simplement le côté espiègle, d'autres le côté monstrueux, ou les deux côtés. Pour ma part, j'aime travailler les deux côtés, je n'aime pas peindre, dessiner des choses trop lisses et réalistes, j'aime se faire confronter le clair et l'obscur, apporter de la nuance, une pincéed'humour noir, une touche de glauque et faire naître un soupcon de réflexion, du moins provoquer une émotion, une sensation qu'elle soit agréable ou non.
Pour ce qui est des personnages qui peuplent ma peinture, ils sont imposés instinctivement sans réflexion préalable, mais ils se nourrissent de nombreuses
influences (qu'elles soient cinématographiques, littéraires, musicales, picturales, graphiques..ect...).

Lorsque vous créez, vos muses soufflent-elles à vos oreilles des mythes et autres légendes ?Annlides Mary loup
Lorsque je crée, ce qui souffle principalement dans mes oreilles, ce ne sont pas des mythes et légendes, mais plutôt de la musique.
Etrangement, j'ai une connaissance très étroite des mythes et légendes, et la plupart de mes lectures se réfèrent plus à la philosophie, à la psychanalyse qu'à la mythologie, même si il y a un lien. Les mythes me seraient donc indirectement soufflés à travers la musique que j'écoute, principalement de la folk (avec un amour inconditionel pour celle de Denver). Mes peintures (les plus personnelles), ainsi que mes dessins illustrent mes questionnements, mes humeurs; j'essaye d'y mettre en quelque sorte mes "tripes", et c'est aussi ce que je recherche lorsque j'écoute de la musique (une musique sensitive).
En y réfléchissant, je dirais que le seul mythe que j'ai le plus creusé, c'est le mythe de Dracula; j'ai beaucoup lu de livres traitant sur ce sujet, dont bien évidemment le roman de Bram Stoker. les questionnements sur le thème du désir sexuel et de la mort, des limites entre la bête et l'homme, entre la vie et la mort ou entre le Bien et le Mal que suscite ce mythe (Dracula) me fascinent, et étrangement inspirent    encore et toujours la littérature, le cinéma...c'est un mythe toujours aussi moderne.

Pourquoi ces grands yeux sur le visage de vos personnages ?
Je ne sais pas vraiment pourquoi je persiste à peindre ou dessiner de grand yeux, cela pourrait s'expliquer par une certaine monomanie, disons que je "pousse " jusqu'à l'extrême un style, là en quelque sorte la manie des grands yeux.
Je dessine, je peins ces grand yeux depuis mes débuts, en faisant un peu de "psychologie de comptoir", je dirais que ces grands yeux
la plupart du temps légèrement hagards, rappellent l'enfance, la curiosité, l'éveil aussi...J'essaye de garder une vision enfantine, tout en la confrontant avec des réflexions, des attitudes plus adultes. Ces yeux pourraient justement illustrer une part d'innocence, de sensibilité.
un.poil.dans.la.main.jpgEt pour aller plus loin dans l'analyse en Médecine traditionnelle Chinoise, l’oeil présente un atout majeur voire extraordinaire.
En effet seuls les yeux peuvent répondre au triple critère de diagnostic, pronostic et thérapeutique, voire poétique. Ils présentent non seulement des connexions multiples avec d’autres viscères mais encore ils ont des relations avec le système d’expression émotionnelle et psychique; d'où l'expression bien connue "Les yeux sont le miroir de l'âme".
Pour résumer mon travail et cette obsession des grands yeux, (un slameur-conteur Nantais) Jean-Michel a décrit mes personnages avec ces mots que je trouve pertinents: "la candeur de ces personnages est toujours là, au bout du compte, pour les protéger des gros vilains cauchemars qui les guettent sans jamais leur faire perdre la tendresse, même un tantinet désespérée, de leurs regards." Et c'est vrai que dans ma peinture, ce qui se voit et s'exprime le plus, ce sont les yeux (qui occupent quasiment 75% du visage de mes personnages).

Vos dessins répondent souvent à des noms étranges " hydrométéores acéphaliques", "eucaryotes" etc...pourquoi? une fascination pour les mots ? pour le bizarre ?
Je suis effectivement fascinée par les mots, les jeux de mots surtout, fascinée également par l'étrange (avec des livres comme ceux d'Edgar Alan Poe,de Kafka ou la nouvelle de Maupassant "le Horla" pour ne citer qu'eux), le bizarre, l'absurde. Ayant arrêté tôt les cours de biologie, je suis de plus passionnée par l'humain, l'anatomie, la physiologie, même si j'ai très peu de connaissances.
J'aime lire des livres qui traitent de neurobiologie par exemple (entre autre Boris Cyrulnik qui mêlent la science et la psychanalyse)...
Un des livres qui m'a fascinée et que j'ai dévoré (sans y comprendre réellement la moitié) est "La chair et le diable" de Jean-Didier Vincent(en plus d'être professeur en physiologie, c'est une personne qui manie beaucoup l'humour). Un livre passionnant, avec des expériences sur les rats pas toujours compréhensibles (mis à part pour des scientifiques initiés), qui analysent les comportements humains, à la frontière du bien et du mal. Et ce genre de lectures m'aident non seulement à comprendre l'humain (l'inconscient, le conscient), mais aussi nourrit ma peinture, mes dessins; d'où ces noms étranges que j'aime donner à ces derniers.

Mary loup - hydrométéoresVous vous dîtes "hantée" par des influences baroques et surréalistes, lesquelles ?
J'aime le mouvement surréaliste en général, Guillaume Apollinaire fut un des premiers poètes que j'ai lu...J'aime l'idée de surréalité, d'un fonctionnement réel de la pensée au delà de toute raison, de tout concept intellectuel, j'aime les cadavres exquis et ce procédé créatif inconscient.
Je me souviens très souvent de mes rêves, et j'aime les raconter à l'oral ou à l'écrit, c'est une source inépuisable d'inspiration.
J'aime comme je l'ai dit auparavant les récits, les films, les peintures..ect où ils se dégagent une certaine vision surréaliste, où chaque personne a sa propre interprétation, sa propre vision, j'aime cette notion d'ouvertures perpétuelles (que je retrouve dans mes rêves).
Un des premiers peintres qui m'a donné envie de peindre fut Joan Miró, ensuite Dali bien évidemment, et puis tant d'autres. Par la suite j'ai découvert les films de Luis Buñuel (aux Beaux-arts), les films de Murnau, de Tod Browning, d'Alfred Hitchcock, de David Lynch, Terry Gilliam pour ne citer qu'eux (il y en a tant..!) ce cinéma proche du surréalisme, étrange et en même temps tellement humain me séduit.
Pour ce qui est des influences baroques, je ne sais pas si ce terme est approprié. Quand je parle de baroque, c'est pour signifier, que j'aime également la profusion, le contraste. Les peintures de Caravage, Vélasquez m'ont beaucoup marquée. Il y a aussi la peinture Flamande, comme ce portrait "des époux Arnolfini" de Jan van Eyck qui me fascinait autant qu'il me terrifiait étant enfant. Plus tard dans mes études, j'ai découvert Bruegel, Jérôme Bosch avec ces personnages caricaturaux issus des bestiaires du Moyen Âge (d'ailleurs reconnu par les surréalistes comme le "maître" de leur art pendant très longtemps), et sa peinture reste pour moi une découverte importante, et c'est toujours une envoùtante source d'inspiration.

Mais aussi "habitée" par des visions enfantines...pourtant il reste toujours quelque chose de cauchemardesque dans votre trait...cultivez -vous les oppositions ?
Cherchez-vous à contraster la naïveté de l'enfance avec des nuances plus sombres ?
C'est juste, et je ne sais pas si c'est une recherche disons consciente dans mon travail, cela fait partie de moi. Effectivement j'aime  confronter la naïveté de l'enfance avec des nuances plus sombres, plus cruelles parfois. Dans mon travail le cauchemardesque se confronte au merveilleux et inversement, comme je le disais je n'aime pas les idées figées, les choses lisses, presque manichéennes...J'aime cultiver le contraste, la vivacité à travers la couleur, le réel et le surnaturel. Personnellement je doute beaucoup, et paradoxalement je cultive certaines croyances presque enfantines et monomaniaques.
Cette citation de Francis Bacon (un des nombreux peintres qui m'inspire) résume assez bien ma manière de penser et de créer "Si on commence avec des certitudes, on finit avec des doutes. Si on commence avec des doutes, on finit avec des certitudes."
Ma peinture, mes dessins peuvent paraître lisses, presque gentils au premier regard, mais en s'approchant d'un peu plus près, le regard peut être dérangé par quelque chose de plus perturbant, ce genre de réaction provoquée par mon travail le plus personnel m'intéresse, me questionne, et me fascine aussi.
Parrallèlement, j'ose croire que mon travail se nourrit d'un peu de poésie; cependant libre à chacun d'y voir ce qu'il veut, de l'aimer ou pas.
Si je vous dis que vous pratiquez l'art de la contrepèterie picturale, vous acquiescez ?
C'est joliment dit, je fais souvent partie des gens qui ne comprennent pas les contrepétries, mais c'est un exercice très intéressant.
Ce jeux de mots qui consiste à permuter certains phonèmes ou syllabes  d'une phrase afin d'en obtenir une nouvelle, pour y dévoiler un autre sens plus indécent, m'amuse; mais je ne suis pas assez experte dans cet exercice...Alors qualifier mon travail de contrepétrie picturale, je suis flattée, cependant la plupart du temps, je n'ai aucune idée de ce que je veux dévoiler à travers mon travail, par contre je joue volontiers avec cet exercice de style dans mes titres.
J'ai d'ailleurs commencé à m'en amuser, il y a de ça quelques années en feuilletant un magazine d'art où un artiste contemporain créait et répertoriait ces jeux de mots, je ne me rappelle plus de son nom. Mais à partir de ce moment là, pour passer le temps, je m'amuse de temps en temps avec les mots (en les mélangeant, en les retournant...) je les écris parfois sur des p'tits carnets.
Je ne le fais plus trop actuellement, seulement quand il s'agit de trouver un nom à une peinture, ou un dessin.
Mary loup - rend coeurEnfin, quels projets pour Mary-Loup ?
Ouh et bien tout d'abord, je travaille sur quelques histoires à illustrer, seulement ces histoires cherchent toujours des maisons d'éditions potentiellement intéressées.
J'ai quelques projets en cours de maturation, dont une histoire très loufoque avec Michaël Escoffier (qui n'a toujours pas trouvé d'éditeurs) que je vais très sûrement retravailler, plus aux traits. J'ai une collection de cartes postales avec les éditions de Mai qui va sortir très prochainement.
Je cherche toujours des Galeries (essentiellement) qui seraient intéressées pour exposer mes dessins et mes peintures.
Disons que les idées, et les projets se bousculent dans ma tête et ne manquent pas, mais j'ai encore dù mal à me projeter, quand tout cela manque de concret.
Je continue de réaliser des toiles personnalisées pour des particuliers, et disons que je suis toujours à la recherche de nouvelles collaborations, je suis toujours à l'affût de propositions pour des petites réalisations (dans l'illustration pour la presse, la pub.. etc).
Voilà, ce que je pourrais dire de mes projets, je continue de dessiner, de peindre, et de rester éveillée que ce soit dans l'encre d'un crayon,
ou dans l'acrylique.
Pour retrouver Mary-Loup:
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4 octobre 2010 1 04 /10 /octobre /2010 18:36

 

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Suzy - Fabrice BackesIllustrations de Fabrice Backes.
Bonjour Fabrice, vous semblez affectionner l'art du portrait? Est-ce du à des influences particulières?
Franchement je ne sais pas trop. Je fais du portrait depuis longtemps. J'ai fait pas mal de choses différentes, de la déco, des fresques, de la peinture abstraite, expressionniste, du paysage, de la peinture en lettres ! Mais c'est vrai que le portrait j'aime plutôt ça. Ma première influence ce sont les gens je crois. Les visages et ce que ça peut dire, tout ça. Ce qu'il y a derrière cette image. L'expressivité. Maintenant, ce que je préfère, c'est de créer moi même mes personnages; ça m’inspire davantage.
Sur quels supports travaillez-vous? Avec quels outils ? ( crayon & fusain ,huile sur toile,  acrylique , pastel?)...vos travaux semblent en effet cultiver l'éclectisme...est-ce une nécessité artistique, pour vous, de changer de matériaux régulièrement?
Je suis mes envies. Un jour j'aurais envie de travailler à la gouache, un autre à l'huile, au fusain, à l'acrylique, aux pastels... Ou même coloriser sur ordinateur aussi. Je ne sais pas, je projette mes images, je les imagine. Parfois je les vois lisses et brillantes, sur un support en bois, et d'autres fois c'est plus organique, plus mat, c'est bien aussi de travailler avec des outils différents. Je ne sais pas, c'est comme ça. J'essaie des trucs et je découvre des choses. l_0f9062be334fabbcd9ce6498dde49571.jpgEst ce que c'est une nécessité ça je ne peux pas dire, c'est juste des envies. Et tant qu'on ne me les interdit pas...

Diriez-vous que c'est le sujet qui guide le trait de Fabrice Backes? Que vous évitez les réflexes et les redites picturales?
C'est vrai j'évite les redites ou les réflexes picturaux, mais j'adopte des choses en même temps. Je récolte... Mais j'essaie toujours de faire mieux ou différemment de ce que j'ai déjà fait, ça me semble normal.
Quant au sujet qui guide mon trait, je dirais non. Je ne pense pas. Je lie plutôt ça à mes envies du moment. Mais peut être que j'aborde différemment un projet d'affiche punk rock qu'une illustration jeunesse. Je ne sais pas, je n'ai pas vraiment de réponse à ça.
Vous avez travaillé sur le texte des enfants monstrueux de Ludovic Huart:  quels souvenirs de cette collaboration?
Ludovic Huart voulait une ambiance très noire qui colle à son texte. Noire, blanche et rouge. J'ai trouvé l'expérience intéressante et j'ai eu envie de travailler d'une manière plus expressive qu'à mon habitude. Quelque chose de plus organique. J'ai travaillé au fusain, à l'encre, à la gouache, à la craie. Tout ce qui pouvait faire de beaux noirs en fait. Ça a été une expérience enrichissante.

Vous avez aussi confectionné une série de 10 illustrations pour son spectacle de théâtre  "J'ai trouvé une pelle pour enterrer ma poupée" :ces dessins constituaient-ils des parties du décor?
Elles étaient destinées à une exposition pour présenter le spectacle.
Vous travaillez pour les éditions La marelle, confectionnez des premières de couverture pour des romans jeunesse ( ex: les dents du bonheur)...diriez-vous que Fabrice Backesvous êtes polyvalent?
Je crois. On me demande des choses qui sont parfois très différentes les unes des autres. « Les dents du bonheur » écrit par Dorothée Piatek est un roman réaliste sur des problèmes d'identification d'un garçon. Les éditions La Marelle suivent une ligne éditoriale plus graphique et délirante. C'est vrai que j'aime assez ce mélange et je peux m'adapter à différents sujets, passer d'un univers à l'autre. C'est un peu mon boulot, aussi. On me demande d'illustrer une histoire, une phrase... je réfléchis.J'essaie de mettre en image et puis voilà.
Vous pratiquez aussi la peinture sur photo? Comment se pratique cet art?
J'ai travaillé sur deux séries pour des magazines, (Style Magazine et Hekmag) en collaboration avec la photographe Henrike Stahl. On avait ensemble des idées d'illustration, et j'ai participé aux prises de vue pour les poses des modèles. Ensuite les illustrations ont été réalisées soit directement sur la photo à la peinture, ou faites en peinture à part et rajoutées numériquement.
Revenons à vos superbes toiles : que voit Suzy  pour serrer si fort cette peluche étrange?
Ça, il faudrait lui demander! C'est un portrait que j'ai réalisé pour Coralie Datt, une photographe qui s'est créé un personnage du nom de Suzy. J'ai fait ce portrait d'après une de ses photos.
Avez-vous une fascination pour les animaux de compagnie? Un bestiaire étonnant peuple vos toiles et dans Exode, notamment, la personnification de l'animal produit une impression fascinante...
Pas spécialement de compagnie, les animaux en général en fait. Quand j'étais petit je lisais des tas de bouquins sur les animaux. Ceux qui m'ont marqué le plus ce sont les livres de Christian Zuber, dont personne ou très peu de monde ne se souvient. Il présentait « Caméra au poing » aussi à la télé. Il dénonçait les massacres, ça m'a révolté à l'époque. Et puis je me perchais dans les arbres pour regarder les oiseaux à la jumelle et je les dessinais. Je n'ai aucune trace de ces dessins d'ailleurs, c'est dommage. Bref, le fait de mettre des animaux dans mes peintures, c'est venu tout naturellement. Et puis c'est venu aussi combler, renforcer une certaine solitude de mes personnages.
Dans Exode, à vrai dire je ne sais pas si j'ai vraiment voulu représenter un animal. J'y vois plutôt une créature qui se fait rejeter. Un peu comme dans Frankenstein quand il est chassé et poursuivi par la population. Alors qu'on sait qu'il peut avoir des sentiments et tout ça, c'est très triste. La comparaison me vient comme ça... C'est une histoire de rejet. Alors après ça peut prendre d'autres dimensions, l'exode... Mais dans ma peinture il y a cette femme qui tient cet être par la main. Je vois quelque chose de très maternel dans son attitude. Un lien. Et moi je me dis qu'il est bien protégé. J'aime bien me dire ça. Après ça n'est que mon interprétation.

Hommard - Fabrice BackesEnfin, quels  projets en cours? Des albums jeunesse en préparation? une exposition?
Oui je viens de terminer un nouvel album de coloriage et la couverture d'un carnet de voyage pour les éditions La Marelle qui sortira en septembre. Là j'ai des commandes de peinture à terminer. Ensuite une affiche pour un festival de cinéma jeune public. Puis un nouveau livre que je prépare avec les éditions des Ronds dans l'O. Une expo en septembre pour l'inauguration d'une médiathèque dans les Ardennes, avec des projets perso à présenter là bas. Puis une autre expo à Paris à la galerie L'art de Rien avec Ludovic Huart, du 10 novembre au 5 décembre 2010. Voilà.

Pour retrouver Fabrice Backes:
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28 septembre 2010 2 28 /09 /septembre /2010 20:16

 

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2-3135-d-a--f-ok.jpgPropos recueillis par Julie Cadilhac / Illustrations - Arnaud Taeron - BSCNEWS.FR /
 Emilie de Turckheim a une écriture fragile et puissante, drôle et grave, toute en contrastes délicieux. Sa plume strangule le prêt-à-lire, propose des personnages ambivalents et  entraîne le lecteur dans un gouffre de culpabilité dérangeant tant il adhère à l'intrigue alors que les situations sont souvent invivables, les postulats inacceptables, les comportements scandaleux. Et pourtant rien n'est vulgaire, rien n'est facile, rien n'est exagéré dans la noirceur mais l'innocence blessée, le désespoir amoureux et la détresse humaine sont des armes d'une violence insoupçonnable dont joue cette virtuose des mots. Alors oui, on ne peut  donc qu'être conquis par la façon dont Emilie de Turckheim manipule le huit-clos dans Le joli mois de mai, admiratif de la teneur sarcastique et philosophique des entretiens du narrateur avec son psy dans Chute Libre, enchanté à la lecture de son interview émouvante et spirituelle. Quand on lit un roman, on ne peut s'empêcher de prêter à son auteur certaines qualités portées par l'ouvrage: ses réponses prouvent que la rigueur, la sensibilité et l'intelligence n'habitent pas que les fictions de cette jeune femme promise à un avenir littéraire brillant!


Bonjour Emilie, ce "joli mois de mai " vous gratifie d'une comparaison avec Agatha Christie: vous êtes-vous inspirée délibérément du schéma de ce huis clos ?
Vraiment, non. C’est en relisant le roman que j’ai remarqué combien le choix de réunir – voire d’enfermer - sept personnages dans une maison de campagne avait produit l’atmosphère de suspense qui rend les huis clos d’Agatha Christie si asphyxiants. Dans le théâtre classique, cette « unité de lieu » est la règle. Le huis clos est l’unité de lieu absolue. On retrouve d’ailleurs les deux autres unités du théâtre classique dans Le joli Mois de mai. L’unité de temps, puisque toute l’action se déroule en une nuit et une matinée.  Et l’unité d’action dans la mesure où les sept personnages ont scellé – sans le savoir – le destin d’une même femme.
Quelles références citeriez-vous en matière de littérature policière? Quelle lectrice êtes-vous?
je lis très peu de polars. J’adore Dashiell Hammet, ses personnages violents, son écriture sans pensée, brutale et intuitive. De façon générale, je suis une lectrice masochiste : j’aime les textes qui se livrent avec difficulté, qui offrent des scènes ouvertes à l’imagination, jamais certaines, jamais finies, ambiguës comme la vie ; j’aime quand il faut conquérir le sens d’un roman, quand les évènements les plus importants ne sont pas dits mais se révèlent dans la langue, dans la forme de l’écriture. J’aime la légère frustration que suscite un texte qui nous égare, comme le font les romans de Joyce, de Bataille ou de Faulkner. Ce sont les textes les plus généreux que je connaisse, ceux qui me font le plus penser à la matière humaine : intouchable, émotionnelle, subjective.
Comment êtes-vous tombée dans la marmite de cette littérature sombre? Vous êtes-vous essayée à d'autres genres?
Je ne sais pas d’où me vient cette attirance pour les récits sombres. J’ai retrouvé des « premiers chapitres », plein de fautes d’orthographe, écrits quand j’avais huit ou neuf ans : du noir total ! Des histoires atroces d’infanticides, de famine au Moyen-Age, de pauvreté misérable qui transforme les hommes en bêtes. Certains de mes romans ne sont pas noirs au sens « policier » du terme (Les Amants terrestres, les Pendus), mais tous sont noirs d’un point de vue social et psychologique. Je me sens bien au milieu de personnages cassés, je perçois mieux la puissance de la tendresse quand elle se fraye un chemin sur le terrain d’une vie tragique.
Au fond je ne vois pas ce qui distingue un polar d’un autre roman. Un polar, c’est un jeu d’empilement, un casse-tête chinois supplémentaire, mais tous les romans sont des romans policiers dans le sens où tous les romans recèlent des secrets, des silences, des enquêtes plus ou moins symboliques (qui est ce personnage ? quel est le sens de sa vie ? quelles sont ses motivations ?), des zones d’ombres mystérieuses et des tragédies qui n’ont pas besoin de s’exprimer dans le meurtre pour parler de la question littéraire suprême - celle de la mort.

Ce "joli mois de mai" est un titre dont la légèreté est bien trompeuse...Le joli mois de mai
« Le joli mois de mai », ce n’est pas une tromperie, c’est un point de vue. Pour Aimé, le narrateur, ce mois de mai est effectivement joli. Ce printemps – temps du renouveau – lui offre la renaissance, un accomplissement, un soulagement radical.

Lorsque s'ébauche un roman pour Emilie de Turckheim, qui sort de la coquille en premier: le personnage et ses aspérités ou l'intrigue globale?
Toujours le personnage.  Je ne sais pas raconter une histoire mais je peux raconter un personnage, dix personnages, pris dans le torrent d’une histoire. Je dois partir de l’intimité du personnage, de sa voix, de ses anomalies, des anecdotes se son passé, des odeurs qui lui ont pris le nez, de tout ce qui fait que le personnage existe pour moi et devient indispensable au roman.
Il y a un an, je marchais dans ma rue, à Paris, l’air était doux, pur, et j’ai senti un parfum qui m’a plantée sur le trottoir. Mon cœur s’est mis à battre, j’avais les larmes aux yeux : ce parfum, ça faisait 20 ans que je ne l’avais pas senti. C’était celui des arbustes à fleurs blanches, dans le quartier où je vivais 20 ans plus tôt, dans l’Etat de New York. J’ai ressenti en une seconde ce jour de printemps 1987 où je ne retrouvais plus ma maison, où j’éprouvais l’angoisse de m’être perdue mêlée au plaisir étrange de m’être justement perdue, de n’avoir plus de chemin, de marcher en toute liberté entre les maisons américaines entourées de jardins taillés au carré, de cerisiers en fleurs, de boîtes aux lettres métalliques en forme de tunnels, de longues voitures aux pare-chocs bas. Ecrire, c’est retrouver la mémoire.
Comment est né Aimé, votre personnage principal au parler si naïf?
Aimé est né de mon amour pour les gens mal foutus, mal à l’aise, dont la façon de parler, de penser, d’ignorer les règles de la vie en société, en fait des êtres solitaires. Il y a dans la naïveté d’Aimé une manière très courageuse d’assumer ses idées qui sont le produit lent, imaginatif et enfantin de son regard sur le monde. C’est un être qui me plaît : il met l’amour en haut de l’échelle. Il sait où il va, il est opiniâtre, lent mais consciencieux, lent mais plus créatif dans son indolence que d’autres personnages du roman qui subissent mécaniquement la vanité de leurs désirs : désir d’argent, désir de reconnaissance dérisoire, désir de propriété. Aimé est libre. Personne ne pense à sa place.

Chute libreVous utilisez un narrateur à la première personne dans "Chute libre" également ....est-ce pour créer davantage le trouble dans l'esprit du lecteur?
Il y a dans la « première personne » un raccourci, un murmure. Le narrateur qui dit « je » ne se décrit pas : il sait déjà qui il est. Ce qu’on apprend de lui se perçoit à travers ses gestes, ses réflexions, sa façon d’être. Par ailleurs, dans le « je », l’auteur est effacé du roman. Ou plutôt, en tant qu’auteur, je me laisse absorber, dominer, abuser par le personnage qui dit « je », qui n’est pas moi, et dont je découvre la logique et à qui, au fil des pages, je ne peux plus rien imposer. J’aime la docilité dans laquelle un personnage jette son auteur.

Diriez-vous que vous mettez en place un jeu  entre le narrateur et le lecteur? Aimé, par exemple, ne délivre des indices qu'au compte-gouttes ....
Oui, il y a un vrai jeu. Le jeu, c’est de rappeler au lecteur, de façon assez ostentatoire, que j’obéis à un genre (aux codes du polar) et qu’un puzzle se dessine. Délivrer les informations au compte-gouttes correspond à mon goût pour les histoires qui ne se livrent pas du premier coup, qui misent de tout leur cœur  sur l’imagination du lecteur.

Dans ces deux romans, une justice primitive s'exprime, sans inspecteur, sans juge. Est-ce pour augmenter le suspense?
Il y a une raison liée au suspense, c’est vrai. Il ne s’agit pas de l’augmenter, mais d’attendre la résolution de l’énigme non par le travail de déduction de professionnels (flics, détectives, juges) mais par l’histoire intime des  personnages, par le dévoilement de leurs traumatismes qui donnent des raisons d’être à leurs actions.
La maladresse, le sentiment de nullité, le lot de peine, de douleur, d’embûches, de chagrin, n’est pas le même pour chacun. On ne peut pas se mettre à la place de l’autre. Il faudrait être dans son corps, physiquement, et avoir vécu sa vie pour comprendre le sens de ses gestes. Il m’arrive de rendre visite à des détenus, en prison. Quand je les écoute, je ne les trouve pas plus illogique que moi dans leur façon de composer avec la quantité d’emmerdes que la vie leur a livrée. Donc un roman policier sans enquête policière et sans juge ne fait pas l’apologie d’une justice de justicier.  Il dit simplement que chacun a ses raisons. Tout le monde peut être consolé.

Comment peut-on se prendre d'affection pour Jean? Comment réussissez-vous ce pari risqué? Libérons-nous notre part sadique devant ce personnage misanthrope qui fustige tous les clichés confortables auxquels se raccroche notre société?
C’est ambigu et assez délicieux d’éprouver de la sympathie pour un être détestable. Je crois qu’on peut éprouver comme un soulagement, en tant que lecteur, à se prendre d’affection pour un personnage si imparfait. Ce n’est pas du sadisme de côtoyer Jean avec plaisir, c’est une aventure au pays de sentiments très universels : la lâcheté, le dégoût de soi, la convoitise, l’ennui, la nostalgie et la passion amoureuse destructrice.
Diriez-vous que dans "Chute Libre", vous avez voulu désarçonner le lecteur et prendre le contre-pied de ses attentes : les séances chez le psychanalyste, les rapports belle-mère / belle-fille sont presque caricaturés à l'inverse....
Peut-être, oui. C’est mon esprit de contradiction. Une sale manie. Aussi loin que je me souvienne, j’ai dit non. Je n’aime pas les clichés, pas seulement parce qu’ils sont faux, mais parce que, justement, ils deviennent vrais à force d’être exercés. Je n’aime pas dire papa et maman, parce que tout se fige quand on nomme une relation entre deux personnes. Dans Chute Libre, les rapports psychanalyste/patients, belle-mère/belle-fille, ne sont pas exactement inversés, ils proposent aux personnages de légères transgressions.  J’aime que les rapports existent de façon unique, que rien ne les forge avant qu’ils ne se cognent à la réalité du désir, de la mélancolie et de la joie amoureuse.

D'où est née cette troublante histoire de danseurs qui chutent?
C’est bon de se faire un peu mal quand on écrit ! Je me suis jetée en pensée. J’ai imaginé la douleur de danseurs qui heurtent le sol à toute force, comme des accidents de voiture. J’ai imaginé la force mentale, l’engagement, la foi bizarre qu’il faudrait pour exécuter vraiment cette danse dangereuse, pour sauter dans le vide, de son plein gré, et s’écraser sur le sol. Quelle serait la part de cruauté envers soi-même, la part d’audace, de folie, la part de liberté surtout ?
En 2008, votre expérience de visiteur à la prison de Fresnes vous inspire "les pendus". La mère d'Aimé et le père de Jean se pendent. Sans être indiscrète, pourquoi un acte aussi violent hante vos romans?
J’ai toujours eu peur qu’on me touche le cou. J’ai peur des mains qui s’approchent de mon cou. Je pleure en répondant à cette question. Alors oui, la pendaison doit me parler très intimement. Ce qui me trouble dans le suicide, c’est la plaque noire qui sépare les êtres, tout le temps, leur solitude infinie. Parfois on ne peut pas ramener une personne, même vivante, à la vie. J’ai vécu avec quelqu’un qui me disait souvent qu’il se suiciderait, qu’il se pendrait à une branche d’arbre, que les oiseaux mangeraient son corps, et que ce serait doux. Il faut écouter les mots qu’emploient les gens, le choix des mots. Même si on peut deviner la fin d’une phrase au bout de quelques mots, il y  autre chose que le sens, il y a le timbre de la voix qui prononce les mots et qu’elle est seule à prononcer à cet instant, les mots choisis, leur immanence. Tout arrive au présent, tout est surprenant.

Pourquoi prisez-vous les phrases courtes ?
Je n’y ai jamais réfléchi. Court, ce doit être la forme de mon esprit. Quand je « corrige » un roman avant de l’envoyer à mon éditeur, je n’ajoute jamais rien, je ne greffe pas des morceaux de phrases, des adjectifs manquants, au contraire : je retranche. Je réduits les phrases jusqu’à éprouver la sensation d’une frontière au-delà de laquelle quelque chose manquerait. Ce travail de réduction peut aller jusqu’à la disparition de la phrase. Mais ce qui a été écrit est indélébile. Donc les textes dont on recoupe des parcelles portent en eux, invisiblement, cette matière amputée. J’ai un ami peintre qui recouvre parfois ce qu’il vient de peindre d’une couche épaisse d’huile foncée. Le résultat n’est pas un monochrome : la couleur unie comprend aussi ce qu’elle dissimule : les corps peints en dessous, le temps passé à les créer et le fait de renoncer à les montrer.  Une phrase courte est comme ce faux monochrome : elle contient nos efforts d’écriture, notre chemin, nos minuscules sacrifices successifs.

Jean, Lazare, Absalon.... prénoms à connotation fortement religieuse, Aimé et la chanson de sa mère. À quel point l'onomastique est-elle importante pour vous?
Avant de répondre à votre question, je suis allée chercher le sens du mot onomastique ! Au moins, ce mot a un sens sur lequel tout le monde s’accorde. Il a une définition. Il en va autrement des noms donnés aux personnes d’un roman. Quand on choisit un nom pour un personnage, on ne dit pas tout au lecteur. On ne lui dit pas le sens de ce nom pour soi. Une partie du nom donné est publique, une partie est privée. Vous citez par exemple les prénoms Lazare et Absalon pour en souligner la dimension religieuse. Elle existe. Mais pour moi, Lazare, c’est  le personnage solaire et animal du roman de George Bataille, Le Bleu du Ciel, c’est un « oiseau de mauvais augure, un oiseau sale et négligeable ». Et Absalon, c’est le Absalon ! Absalon ! de William Faulkner, la cruauté floue, rampante, de ses mots, sa façon de perdre le lecteur, de lui casser l’habitude qu’il a de tourner les pages et d’en comprendre le sens.

Les mots semblent être des personnalités à part entière, des compagnons que vous respectez beaucoup; même vos personnages leur accordent une importance phare ( ainsi la mère de Jean refuse de formuler le mot suicide et Aimé s'interroge beaucoup sur le sens et la valeur des mots: le vocabulaire utilisé, selon lui, catégorise les individus qui les prononcent). Avez-vous grandi dans un bain de mots savants à cultiver?
Je n’ai pas grandi dans les mots savants, non. Mais je suis très attentive aux mots. A leur répétition. Aux expressions déjà constituées qui échappent à l’expression individuelle, qui sont une voix collective – c’est leur beauté – mais qui dégradent la possibilité de dire librement ce que l’on pense, avec des mots choisis, dans une forme choisie qui ne subirait pas les injonctions de la grammaire ou les réflexes des associations de mots systématiques. Je suis « parlée » par la langue que j’utilise, je suis tributaire de son esprit. C’est le thème de mon roman Les Pendus dans lequel le personnage principal, un SDF qui collectionne des cheveux de passants, s’exprime dans une langue inventée qui fait de lui un être libre mais seul, séparé des autres par ses mots personnels qui le singularisent autant qu’ils le perdent.
Mon fils aîné a trois ans. C’est l’âge rêvé pour la langue. Il dit des choses inexactes (grammaticalement ou du point de vue de la conjugaison) mais totalement libérées des exigences de la logique, des formules idiomatiques. Je l’écoute. J’envie cette résistance inconsciente à la langue bloquée.

Le joli mois de mai ( Arnaud Taeron)Vous maîtrisez l'art du dialogue: comment conserver le naturel d'une conversation à l'écrit? Quel est votre secret?
Ce qui est compliqué dans un dialogue, c’est qu’il ne ressemblera jamais aux phrases échangées dans la vie. Les « vraies phrases » sonnent vraies parce qu’elles sont vraiment prononcées. Un dialogue dans un roman ne peut être qu’une traduction, une façon de rendre ce qui échappe en partie aux moyens du roman : le timbre de la voix, le débit de la parole, l’accent, les interruptions et les reprises qui sont si nombreuses dans la langue parlée. Quand le lecteur lit un passage de dialogue, il se soumet forcément à un exercice de comédien, il dit entre ses lèvres les mots du personnage. On est très proche du lecteur dans un dialogue.
La recherche du « naturel » n’est pas toujours la bonne piste : il faut assumer une part de poésie et d’artifice dans les dialogues d’un roman, comme on accepte les décors en carton quand on va au théâtre. Une phrase de dialogue n’est pas une phrase réelle, enregistrée sur un dictaphone et retranscrite mot à mot. C’est une phrase qu’on ne remet pas en question. Elle est là, souplement. On la croit. J’adore les dialogues. A aucun moment la sensation de faire vivre ses personnages n’est aussi forte que quand on les fait parler, qu’on force leur bouche à articuler des mots.
Enfin, de nouveaux mystères sont-ils en germe dans votre plume? Quel nouveau projet? Ne vous a -t- on jamais proposé de scénariser "chute libre" et d'en faire un film?

Oui ! Plein de projets… Je vais me plonger dans le journal que j’ai écrit pendant les neuf mois de ma dernière grossesse. Un texte intime et réaliste que j’espère publier cette année. Je vais me lancer dans un nouveau roman - j’ai envie d’écrire une histoire d’amour.  Je vais aussi poursuivre l’écriture d’une série télé que j’ai imaginée avec un ami écrivain. J’aimerais enfin organiser cet automne des ateliers d’écriture en prison, autour de la question de la nudité.  Quant à l’adaptation au cinéma d’un de mes romans, je voudrais écrire le script du Joli mois de mai… mais les journées manquent d’heures…

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14 septembre 2010 2 14 /09 /septembre /2010 19:35

 

Eric Fottorino - Interview pour le BSCNEWSInterview d'Eric Fottorino par Julie Cadilhac- Bscnews.fr / Illustrations : Arnaud  Taeron.
Lutter à contre-courant, se rencontrer dans un écrin de papier et d'encre,  conserver la beauté  fragile de l'instant et ses parfums, voilà l'enjeu difficile du récit autobiographique. Eric Fottorino, dans L'homme qui m'aimait tout bas, hommage pudique à son père adoptif défunt et dans Questions à mon père, quête d'identité et retrouvailles dans l'urgence d'un père biologique, s'est confronté à l'exercice périlleux de la sincérité. Deux textes touchants de sensibilité et de tendresse vive, deux occasions de voyager au milieu des effluves appétissantes, des plats de la Tunisie de Michel ou en compagnie des ancêtres nomades Filali de Maurice, une voix de fils pour deux pères aimés.
Les souvenirs glissent, se défilent, nous font des pieds de nez pour se laisser ensuite apprivoiser. Parce qu'ils ne peuvent pas vivre sans nous, parce qu'ils sont des liens "plus solides que la vie", parce qu'ils savent qu'en nous ressemblant, ils nous rassemblent. Rencontre avec un fils, un père, journaliste et  directeur du Monde, un écrivain, un passeur d'émotions qui nous offre deux confidences saisissantes. Elles donnent envie de mieux connaître les nôtres... pour se découvrir soi.


Dans Questions à mon père, vous citez entre autres Le Livre de ma Mère d'Albert Cohen que votre père Maurice aime tant. Qu'appréciait-il en particulier dans l'oeuvre de cet écrivain?
Je pense que ce qu'a apprécié Maurice dans Cohen, c'est cette famille de Céphalonie, ses origines juives et  cette truculence entre les oncles, tous ces personnages assez haut en couleur, à la fois joyeux et  retors. Il y a retrouvé le petit monde de Fès qu'il avait connu dans sa jeunesse même si  chacun se fait une projection des personnages de roman. Comme la Céphalonie d'Albert Cohen est un peu imaginaire, Maurice a pu plaquer cette part fictive dans sa vie de jeune homme. Ayant connu l'exil ensuite, le Maroc qu'il avait vécu a ainsi cédé la place à un Maroc reconstruit, imaginé, romancé: la fibre romanesque de Cohen est tombée à point nommé d'une certaine manière.
Avez-vous délibérément utilisé  cette tendresse moqueuse dont use si délicieusement Albert Cohen pour décrire ses Questions à mon pèrerelations avec sa mère?
C'est vrai, il y a quelque chose qui n'y est pas étranger. C’est arrivé à mesure que Maurice m'a initié aux arcanes de sa famille, avec ses oncles qui pouvaient faire penser à Mangeclous et les autres Valeureux, en voyant quelquefois leurs équipées un peu folles, notamment celle où certains ont voulu aller vendre des tapis à Chicago. Ce regard que j'ai porté sur lui et sur eux, comme je savais qu'il y avait une  sorte d'inspiration voisine ou cousine de celle de Cohen, je me suis presque inconsciemment porté vers cela.
En confrontant les deux ouvrages dédiés à vos pères qui sont très émouvants, par la pudeur des sentiments qui y habite mais aussi par une volonté manifeste de sincérité, on réalise qu'ils se complètent mais qu'ils sont en même temps très différents et d'abord par l'écriture. Dans "Questions à mon père", il y a un tu  vivace qui s'adresse à un interlocuteur vivant, dans l'autre récit, l'évocation de souvenirs ébréchés et itératifs.
Pour moi, la différence majeure entre ces deux livres, c'est qu'il y en a un qui est pour un mort et l'autre pour un vivant; ça change beaucoup de choses. Il y a un caractère évidemment moins dramatique dans Questions à mon père même s'il y a cette épée de Damoclès qui est la maladie, donc l'ombre de la mort, mais il n'y a pas cette brutalité que contient "L'homme qui m'aimait tout bas" qui parle d'un homme qui s'est donné la mort.
«Questions à mon père» a t-il été déclenché aussi par le décès de votre père adoptif ? Cette disparition laissait-t-elle une place vacante? Y avait-il une forme de culpabilité vis à vis de Michel?
Non, il n'y a pas de culpabilité. Il y a forcément toujours le regret peut-être de ne pas avoir fait ce qu'il aurait fallu faire face au suicide mais ça c'est tellement complexe. Mais je n'ai pas de culpabilité particulière vis à vis de Michel. Le déclencheur, ça a été bien sûr sa mort aussi brutale qui fait qu'à un moment donné j'ai voulu le plus vite essayer de restituer ce qu'il avait été et ce qu'avait été notre relation. La suite est venue finalement assez logiquement même si je n'en avais pas pris conscience au départ. Maurice, la maladie Arnaud Taeron pour Eric Fottorino- interviewde Maurice, je me disais bien qu'on n'avait pas a priori un temps fou devant nous et pour le coup, il y avait, sinon un sentiment de culpabilité, pour le moins le sentiment qu'il fallait que j'essaye avec les mots de réparer quelque chose, de réparer une relation qui n'a pas réussi, une relation entravée, empêchée pendant longtemps et j'ai voulu qu'il puisse lire de son vivant ce livre.

C'est ainsi que vous écrivez  " l'écriture est un fil plus solide que la vie" , ces deux livres sont un moyen de maintenir un lien.
Exactement.

Deux pères différents et pourtant des univers communs. L'Afrique du nord pour point commun, la médecine, ce M magnifique qui débute les deux prénoms. Pourtant l'un semble disposer d'une figure rassurante tandis que l'autre fascine davantage et effraie peut-être un peu aussi...
C'est vrai que lorsque  Michel est arrivé, j'étais un enfant :il a vraiment incarné cette figure du père qui faisait défaut. Quand à Maurice, il y a  l'attrait parce que c'est mon père biologique. Il est vrai que c'est quelqu'un d'assez brillant, séduisant intellectuellement. En même temps, j'avais une forme de répulsion en me disant qu'après tout la vie avait fait que nous n'avions pas vécu ensemble et que peut-être même il m'avait abandonné. J'avais une écriture assez imprécise de notre histoire et ce n'était pas vraiment fait pour nous rapprocher. Il n' y avait pas de la crainte mais, en tous cas, une méfiance un peu instinctive vis à vis de lui qui a duré longtemps.
Lire ces deux textes en parallèle permet une réflexion sur les mécanismes de l'écriture autobiographique: la pédale est-elle votre madeleine?
C'est sûr que le vélo a été une manière de remonter le fil de la vie dans tous les sens, d'avancer mais aussi de revenir en arrière c'est pourquoi il m'accompagne toujours aujourd'hui. La bicyclette a été un moyen de créer un lien très particulier avec Michel dans la mesure où il a accompagné cette aventure, il l'a suscitée, l'a encouragée. Il y avait entre nous, comme il était masseur kinésithérapeute, cette complicité qui venait à la fois de l'effort physique, du sport et puis aussi de ses massages qu'il me prodiguait le soir dans son cabinet. C'était à la fois quelque chose de physique et d'affectif parce qu'il a passé beaucoup de temps au bord des routes à me soutenir.
Dans «Questions à mon père» , vous dîtes "J'ai préféré le romanesque à l'abrupt de la vie " pendant longtemps: ce texte a-t-il réussi à réparer ce travers?
C'est vrai qu'il n'y a pas de romanesque dans Questions à mon père ou alors il est involontaire, d'ailleurs j'ai pris le soin - je sais qu'aujourd'hui c'est très à la mode lorsqu'on écrit un récit autobiographique d'écrire roman dessus - de ne pas mettre roman parce que c'est un récit et que j'ai voulu être au plus près de la réalité. Le personnage de Maurice est apparu dans plusieurs de mes romans sous des masques alors que là, il apparaît vraiment comme il est, avec ses faiblesses, avec une sorte de grandeur aussi, avec ses peurs et donc il n'y a rien de romanesque là, en tous cas rien de romancé. On est au plus près d'une réalité vécue et subie quelquefois.
Et pourtant il pourrait y avoir la tentation de céder à un récit romancé quand on lit la Eric-Fottorino.jpgdestinée de votre père Maurice...
Ah oui, c'est sûr que de ce point de vue là, quand on dit que la vie est un roman, sa vie et celle de sa famille ont quand même quelque chose d'assez romanesque mais sans qu'on force le trait. Leur vie a été ainsi.
Ces deux ouvrages mettent en place un monde d'hommes. En tous cas, un monde où les hommes sauvent, Michel par l'adoption et grâce à son vélo et puis Maurice en vivant. Aujourd'hui, entourée de filles, avez-vous perdu vos repères?
Non, les repères, j'ai passé pas mal de temps à essayer de les trouver - il m'a fallu quasiment cinquante ans pour m'en trouver et pour essayer de devenir moi-même un point de repère pour mes enfants - j'ai plutôt eu tendance à les consolider, à les élucider, à savoir quelle était la part de chacun, l'importance que je leur accordais et c'est vrai que d'une certaine manière, j'y suis arrivé par le roman: le romanesque a élucidé le réel. C'est quelque chose qui peut paraître paradoxal mais c'est par la fiction que je suis allé de plus près vers ma propre réalité.

Réfléchir sur les liens avec vos pères a entraîné une réflexion sur votre propre statut de père...

Tout à fait, c'est vrai que, quand vous n'avez pas eu de père pendant longtemps, vous êtes un peu instable, vous n'êtes pas Arnaud Taeron- Eric Fottorino interviewtotalement assuré de votre solidité comme père mais ce sont aussi les enfants qui vous font devenir père par leurs exigences.
Votre écriture a un goût prononcé pour les images, influencée sans doute par votre métier de journaliste, et pourtant, si vous parlez de la fierté de Maurice qui place vos romans dans sa bibliothèque, vous évoquez assez peu son regard sur votre activité au Monde, vous l'évoquez à peine un peu plus dans «L'homme qui m'aimait tout bas», pourquoi?
C'est vrai que le fait d'être journaliste, d'être directeur du Monde, c'est quelque chose que Maurice apprécie, il est heureux de cela pour moi mais je ne pense pas qu'il y mette non plus une fierté particulière. Effectivement, il pense que j'ai bien réussi dans mon métier, il sait que c'est un métier assez difficile, lourd de responsabilités mais ça n'a pas provoqué de commentaires particuliers de sa part; il sait que c'est une charge difficile. Il sait très bien que le Monde est une partie de ma vie mais que ce ne sera pas toute ma vie, je ne serai pas, par définition, toute ma vie journaliste et directeur du Monde et à partir de là, il place les choses plus profondément que cela.
Dans Questions à mon Père, vous affirmez "Ma quête n'est pas une enquête": faites-vous donc la part belle à la subjectivité? Pourtant il y a dans ce texte tout un travail de répétition du souvenir qui donne l'impression d'un souci de rigueur...
Une enquête signifierait que j'ai enregistré précisément les différents protagonistes, que j'ai recoupé des choses or je ne l’ai absolument pas fait. J'avais un interlocuteur principal, un autre d'appoint qui était sa soeur et avec cela j'ai reconstruit une réalité avec les  erreurs liées aux souvenirs estompés chez l'un ou l'autre. En tant que journaliste, je  sais ce qu'est une enquête, on a plusieurs sources, on les confronte. Là, je me suis contenté d'interroger Maurice pour l'essentiel et par exemple pour ce qui lui est arrivé dans sa vie professionnelle à Toulouse ou à Muret lorsqu'il avait une clinique, je n'ai pas cherché à aller voir les protagonistes. Le coeur du récit c'est une quête, c'est à dire comprendre un lien, plus qu'une enquête où l'on accumule des informations pour faire la part des choses de la façon la plus précise.
Êtes-vous un peu mystique? vous évoquez Michel et son intérêt pour l'astrologie et de votre côté, vous insistez sur les signes et les coïncidences...
Franchement je ne sais pas... Je ne crois pas être vraiment mystique; il y a quelquefois des liens que les psychanalystes appellent des hasards exagérés, comme par exemple que l'un s'appelle Michel l'autre Maurice, qu'ils sont nés au Maroc et en Tunisie. Ce sont des constats objectifs devant lesquels vous restez impuissant. J'ai sûrement une propension à noter la dimension symbolique des choses mais ça ne va pas plus loin. Je ne m'enfonce pas pour autant dans une abîme de réflexion.
Dans l'autobiographie, il y a toujours une réflexion sur le rapport entretenu avec le lecteur: l'avez-vous conçu comme le partage d'une expérience?
Cela peut paraître étrange de dire cela mais je n'y ai pas pensé. Comme je le dis au début du livre, je voulais écrire un texte qui serait une sorte de justice établie noir sur blanc dans la relation avec Maurice, je crois que c'était cela le coeur et la clé. Après, ce que les lecteurs pourraient éprouver ou pas, s'ils pouvaient se sentir gênés par rapport à une intimité trop grande ou au contraire s'ils pouvaient avoir une curiosité, une saine curiosité bien sûr, sur ce que j'étais, j'avoue que cela ne m'a pas effleuré au moment de l'écrire. Après, forcément, quand cela devient un objet, un livre que l'on va diffuser, vous ne pouvez pas vous empêcher de vous dire mais est-ce que ce sujet - qui m'intéresse moi, qui intéresse mes proches- est-ce que pour autant cela mérite d'être un livre mais si j'avais posé cela comme un préalable je ne suis même pas sûr que je l'aurais écrit. En général quand j'écris, je m'affranchis de beaucoup de choses qui pourraient venir briser l'élan de l'écriture.
L'objectif de ce livre, c'était d'abord de faire un hommage à Maurice mais aussi la volonté de compenser ce qui a manqué, cette "épaisseur des jours " que vous regrettez. C'est donc l'épaisseur du livre qui compense cette épaisseur des jours ?

Je ne sais pas trop quoi rajouter à cela. Oui, c'est assez juste ce que vous dîtes.

Eric FottorinoVous écrivez dans L'homme qui m'aimait tout bas " la confiance est une forme d'inconscience": en qui et en quoi fait confiance Eric Fottorino aujourd'hui?
Quand on est à plus de la moitié de sa vie, je pense qu'on a choisi des proches à qui l'on accorde notre confiance déjà depuis longtemps. On a quand même déjà fait un peu la part des choses. Je fais d'abord confiance aux gens qui sont d'abord dans mon entourage proche, que j'aime et puis je me fais confiance à moi au fur et à mesure; ça n'a pas toujours été le cas puisque évoquer son identité, c'est, comme on disait, créer des repères, créer des racines. Quand vous êtes plus droit, plus en équilibre, vous avez plus confiance en vous pour avancer et pour découvrir d'autres choses, d'autres paysages mentaux. Je crois que la confiance, c'est quelque chose qui part de soi et qui doit mener à soi à un moment donné.

Enfin, avez-vous des ouvrages que vous avez remarqué en cette rentrée littéraire?

Moi, je n'ai pas lu énormément de choses sur cette rentrée mais je pense à «La possibilité d'une île» de Houellebecq;  beaucoup en parle alors je ne vais pas m'y mettre à mon tour mais c'est vrai que c'est un livre important sur la définition de la modernité, la société industrielle, l'art, la société de consommation qui nous traite un peu comme du bétail que ce soit dans les avions - Holocauste - comme il le dit- ou dans les supermarchés où l'on finit par vivre une partie exagérée de son temps. Je trouve que c'est un livre qui fait réfléchir, je n'aime pas trop son écriture mais ce qu'il dit est intéressant. Il y a aussi le livre d'un jeune auteur qui se nomme Jérôme Ferrari, paru chez Actes Sud, «Où j'ai laissé mon âme», un récit à propos de deux officiers français pendant la guerre d'Algérie et un algérien rebelle, comme on les appelait, qui se suicide et qui s'appelle Tahar. C'est une très belle réflexion , très incarnée de façon romanesque, sur le Mal, sur une armée d'occupation, sur la libre destinée du peuple algérien.

Et pour vous, un roman en cours? en projet?

J'avais écrit un roman avant la mort de mon père; je pense que je vais le relire pour voir d'abord si je l'aime toujours et s'il est publiable. Sinon le Monde occupe quand même l'essentiel de mon temps et je ne peux pas entreprendre de projets littéraires trop ambitieux aujourd'hui.
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14 août 2010 6 14 /08 /août /2010 15:34
Interview d'Arthur de Pins.
Propos recueillis par Julie Cadilhac - Bscnews.fr / illustrations : Arthur de Pins. Pulpeuses, colorées et pétillantes, les girls d'Arthur de Pins ne sont plus à présenter... Parées de folie pimpante et d'espièglerie coquine, elles électrisent les planches avec une pêche piquante à souhait. C'est aujourd'hui avec des monstres moins sexy mais tout aussi diablement drôles que le dessinateur s'octroie, dans Zombillénium,  une aventure trépidante dans un parc d'attractions peu commun. Singulier autant que sympathique, Arthur de Pins devrait vous séduire autant que ses amazones contemporaines. Une interview à siroter au soleil!


péchés mignonsPeut-on dire que vos sujets sont résolument féminins? Arthur de Pins aurait-il pu être une femme?
J'ai démarré, il y a six-sept ans,  dans un magazine qui s'appelait Max et qui était plutôt destiné aux garçons et puis j'ai été embarqué dans l'aventure Fluide Glacial et  le ton que j'ai choisi n'était pas tout à fait le même que ce que l'on pouvait trouver habituellement à l'époque dans Fluide. J'ai fait les deux premiers tomes tout seul et pour le troisième, j'ai fait appel à Maïa Mazaurette, qui elle est une femme, pour faire les scénarios et quant au quatrième qui va sortir bientôt, on a écrit les scénarios à deux.


Une touche d'érotisme qui cible un public féminin?

C'est vrai que ce n'est pas véritablement une BD érotique pour hommes - il n'y a pas de grandes blondes d'un mètre 90 avec une énorme poitrine mais ce n'est pas vraiment une BD érotique dans le sens qu'on achète pour se rincer l'oeil, c'est plutôt l'occasion de raconter des histoires de couples, de célibataires, de sexualité.

Vos chutes sont espiègles et drôles : souhaitiez-vous ajouter à l'érotisme la note humoristique qui lui manque souvent?

Ce qui est amusant, c'est que depuis la sortie de l'album érotique l'an dernier de ZEP, il y a beaucoup de journalistes qui m'ont interviewé par la même occasion et de mon côté, personnellement, je ne connais pas vraiment l'histoire de la BD érotique, évidemment je connais Manara et d'autres Bds érotiques des années 70 -80 mais elles n'ont pas du tout le même objectif que moi : ce sont des bandes dessinées dédiées aux hommes; l'objectif est d'exciter le lecteur et il n'y a pas vraiment de composantes humoristiques. Au cours de mes études d'illustration, j'étudiais soit le dessin pour enfants, soit le dessin de presse mais  lorsque j'ai commencé à faire des couvertures de bouquins érotiques un peu rigolos, l'éditrice m'a expliqué que j'étais le seul à en faire et c'est vrai que dans les années 90, il y a eu un black out du dessin érotique en général. Alors j'emprunte à des dessinateurs comme Kiraz qui font à la fois du dessin sexy et humoristique. Niveau érotique, ce que je fais est très soft, c'est juste coquin. Dans chacun des Péchés Mignons, il n'y a qu'un tiers des planches où les personnages sont nus et ça ne parle pas que de sexe d'ailleurs. C'est une façon rigolote de représenter la sexualité avec des personnages mignons.

Pourquoi avoir opté pour la rondeur? Est-ce que les formes siéent davantage à votre trait ou est-ce une volonté de s'opposer au cliché idéal de la femme mince?péchés mignons 4

Ces personnages un peu ronds, je les ai créés il y a une dizaine d'années pour mon premier boulot : je travaillais pour une société de jeux vidéos et à l'époque on créait un jeu sur Internet - il n'y avait pas encore l'ADSL donc le jeu tenait dans une toute petite fenêtre.  Mon rôle était de créer des personnages, des tribus et, parmi elles, j'avais créé une tribu d'amazones avec des petites femmes un peu rondes. Rondes aussi parce qu'il fallait qu'elles tiennent dans un petit carré sur l'écran et il fallait grossir les traits, grossir la tête etc...amazones qui, d'ailleurs, n'ont pas été retenues mais qui plaisaient beaucoup à mes collègues masculins!
De plus, j'ai toujours aimé dessiner les femmes rondes. C'est le même principe que Betty Boop - c'est vrai que je la cite souvent comme référence - grosse tête, grosses hanches, gros yeux - mais elle est pour moi une manière de représenter la féminité. Certes, il m'arrive de temps en temps de dessiner des femmes minces, avec des proportions plus réalistes mais l'avantage de ces personnages ronds, c'est qu'en contrepartie on peut aborder des thèmes plus trash; c'est surtout le cas dans les deux derniers albums de Péchés Mignons - les personnages n'ont aucune moralité, ils peuvent se bourrer la gueule dans les bars, se taper une personne différente à chaque planche mais justement leur côté mignon fait que..ça passe, ça décomplexe un peu les gens, quoi.

Ce qui créé l'humour, ce sont les contradictions des personnages? Dans Péchés Mignons 3, par exemple, Clara est castratrice et sexuellement libérée et en même temps on sent bien qu'elle aimerait trouver, au fond, le prince charmant...
Tout à fait. C'est comme le héros qui s'appelle Arthur - je tiens à préciser que ce n'est pas moi qui l'ait nommé ainsi, c'était l'ancien rédacteur en chef du magazine pour me faire une blague et ça crée toujours une espèce de confusion - c'était donc déjà le cas avec Arthur. Pour le personnage de Clara, au début, je voulais faire le scénario moi-même, il fallait que ce soit une croqueuse d'hommes et j'ai commencé à écrire quelques scénarios dans l'album mais je ne me sentais pas à l'aise - peut-être tout simplement parce que je ne suis pas une femme et c'est à ce moment-là que j'ai rencontré Maïa Mazaurette, qui est journaliste et qui écrit des ouvrages sur la sexualité et qui anime un blog assez lu sur Internet; j'ai apprécié son style, elle a tout a fait pigé l'esprit ; elle a fait un personnage qui a des contradictions . A la fois, Clara aime les hommes mais au fond d'elle-même, elle rêve du grand amour , même si elle ne se l'avoue pas et qu'elle va continuer à faire n'importe quoi.

Vous vous adonnez aussi au film d'animation...

En fait l'animation, c'est ce que je faisais à la base. J'ai fait plusieurs courts métrages et après j'ai un peu arrêté, parce que faire un court métrage d'animation, ça prend beaucoup de temps et que, même si c'est passionnant à faire, ça peut prendre un, deux ou trois ans et j'ai réalisé que ,pendant ce laps de temps, il est possible de faire cinq ou six BDs. Or la BD permet de raconter plus de choses, on dit souvent d'ailleurs que la BD, c'est le cinéma du pauvre. Faire un court-métrage, c'est trouver des producteurs, des financements, avoir de nombreux interlocuteurs,il y a plein d'allers retours, il faut constituer une équipe, ce n'est pas très spontané...et parfois certains commencent des films et, au bout de deux ans, ils ne sont déjà plus dedans alors qu'une BD nécessite simplement un éditeur : Boum un matin on s'y met et c'est beaucoup plus direct entre l'idée et le moment de lecture. C'est pour ça que je m'oriente plus vers la BD et d'ailleurs en novembre, sortira aussi une adaptation BD du dessin animé des crabes parce que j'ai prévu de faire une suite et j'ai décidé de la faire en BD.
Autre avantage de la BD: le support soulève beaucoup moins de tabous et ce qui est agréable, c'est qu'on peut passer d'un éditeur à l'autre et donc d'un public à un autre,  au gré de ses envies.

Zombillénium - interview d'arthur de pinsDans Zombillénium, il y a un fil directeur, une continuité narrative que l'on ne trouvait pas dans Péchés mignons...

Oui, là, ça change, déjà puisque Zombillénium,  c'est tout public, ça paraît dans Spirou. Il y a un côté un peu cynique, un peu noir et l'enjeu n'est pas du tout le même. C'est une série qui paraît dans le magazine, donc il faut trouver à chaque fois une sorte de rebond à la fin de chaque série de quatre planches.


Spirou et Fluide Glacial ne posent pas les mêmes contraintes?

La contrainte, chez Fluide Glacial, c'est qu'il faut être drôle, l'autre contrainte, c'est que, contrairement à Spirou, ils ne peuvent pas éditer d'histoire longue donc il faut que chaque planche se suffise à elle-même. Ces deux contraintes ne sont pas forcément évidentes parce qu'on finit par tourner en rond, surtout là, vis à vis d'une thème qui a été beaucoup exploité, la sexualité, et c'est dur de ne pas retomber dans les mêmes blagues. Alors que Zombillénium offre un univers qui est une porte ouverte à pleins de possibilités.


D'où est né Zombillénium et ses zombies? Est-ce parce que vous étiez las de brosser le quotidien?

Dans Péchés Mignons, on évoque le quotidien....même si tout ce qui arrive dedans n'est pas autobiographique! ( rires) ; j'y aborde la sexualité et des préoccupations que j'avais entre vingt et vingt-cinq ans. Après d'autres problématiques se sont greffées mais un trentenaire commence à avoir dans son entourage des amis qui ont des gamins, qui sont mariés et donc il n'a plus les mêmes problématiques ....et je sentais que ça commençait un peu à s'épuiser. Et puis, en même temps, j'ai toujours aimé le fantastique et depuis le lycée, j'avais envie de faire une grande saga avec des monstres et un jour,  le rédac chef de Spirou m'avait demandé de faire une couverture pour Halloween et le résultat lui avait plu et c'est là qu'on lui a proposé de faire une série à partir des personnages que j'avais dessinés sur la couverture. Après j'ai commencé à développer l'univers, avec le parc d'attractions , le décor, le graphisme et je m'éclate à faire quelque chose dont j'avais envie depuis longtemps. J'y mélange le fantastique et un côté un peu réaliste : le paysage industriel, le côté très "corporate" de la hiérarchie de travail avec le patron, le DRH, les employés.. donc j'aborde à la fois le côté onirique et le côté "vie de tous les jours" représenté par le monde de l'entreprise. J'ai toujours besoin d'avoir un pied dans la réalité et c'est ce décalage que je trouve amusant.
Il y a des monstres mais ils vivent comme nous, ils ont les mêmes problèmes que nous mais le but de Zombillénium n'est pas , avant tout, d'être humoristique, c'est  une BD d'aventures. Le Tome I, c'est juste l'exposition, l'occasion de planter le décor et les personnages dont deux/ trois personnages qu'on reverra au fil des albums et chaque album va se centrer sur un des ces personnages, le premier c'est Gretchen et aussi Aurélien qui sert d'introduction au parc puisqu'on suit son parcours. Tout est basé sur les rapports entre les personnages, même si les personnages ne sont pas très démonstratifs et qu'il n'y a pas d'explosion de sentiments à la fin, ça reste...


... plus pudique?

C'est vrai que c'est finalement l'inverse de Péchés Mignons où l'on voyait le sexe tout le temps. Là, il y a juste quelques petites allusions. D'abord parce que ça paraît dans Spirou mais aussi parce que je voulais qu'il y ait une certaine froideur, que les personnages soient un peu réservés..le guide du rateau - Arthur de pins


Des albums en préparation?

J'ai déjà commencé le Tome 2 de Zombillénium qui sortira dans un an et puis je vais travailler sur le tome 2 de la bande dessinée des crabes : le tome 1 qui sort en novembre reprend les mêmes idées que le court métrage, le tome 2 raconte par la suite ce qu'il se passe lorsque le petit crabe a changé de direction.


Après avoir peint les déboires des célibataires, le projet de caricaturer ceux des couples?

Oui, pourquoi pas! Je l'avais déjà un peu abordé dans le tome 2 mais là, pour le coup, il y a d'autres bandes dessinées de talent dont Max et Nina de Dodo et Ben Radis, qui paraissait dans l'Echo des Savanes,une BD où les personnages ont des têtes d'animaux: dans le tome 1, c'étaient les déboires sexuels, dans le tome 2, ils sont en couple et ainsi de suite jusqu'au mariage et aux enfants. Dans Péchés Mignons, on n'ira pas jusqu'au bébé, ça coincerait au niveau des proportions puisque les personnages eux-mêmes ont un peu des proportions de bébé et puis, je pense que les histoires marrantes sont plutôt à chercher du côté de la période célibataire que de la période du couple.


geisha - arthur de pinsPour finir, quelles références picturales et humoristiques ont influencé le trait d'Arthur de Pins?

Au niveau du graphisme, ma grande référence, c'est Kiraz, la seconde, c'est Monsieur Z qui est un ami  illustrateur, premier à avoir utilisé le logiciel dont je me sers et qui se nomme Illustrator : logiciel de dessins sur ordinateur, assez particulier puisqu'il s'agit de dessiner des formes, de les découper et de les disposer les unes par rapport aux autres et qui permet aussi de dessiner sans avoir à tracer de trait autour de la couleur. C'est en découvrant son travail que j'ai décidé d'utiliser le même logiciel.
Ce sont des références dans l'illustration ,pas dans la BD. Il y a beaucoup d'illustrateurs de BDs que j'apprécie mais je n'ai pas pioché mes références dans leur travail et dans la BD de façon générale. J'ai plutôt essayé de m'en éloigner car ,comme le disaient mes profs quand j'étais étudiant, la BD est vraiment une usine à gaz, il y a beaucoup trop d'auteurs qui apprennent à dessiner en lisant des BDs plutôt qu'en essayant de trouver eux-mêmes leur style.

Au niveau de l'humour, il est compliqué de citer quelqu'un de précis. Dans les années 90, je lisais beaucoup l'Echo des savanes, j'ai beaucoup lu notamment Martin Veyron ou  la Bd Max et Nina dont j'ai déjà parlé.

 

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6 août 2010 5 06 /08 /août /2010 13:25

Jorge Gonzalez - BandonéonPar Julie Cadilhac - Bscnews.fr / Interview  de Jorge Gonzalez - Traduction : Mar Arregui-Oto Bresson.

Un matin, un oui enthousiaste résonne depuis l'Espagne et vous sentez qu'un air de vacances s'empare doucement de votre messagerie. C'est Jorge Gonzalez qui acquiesce, c'est Barcelone qui encadre vos rêveries d'évasion. Sí para la entrevista d'un argentin exilé, dessinateur de BD aux doigts de peintre et aux mots de poète. Oui, pour parler d'un roman graphique prenant et passionnant, Bandonéon,  qui en appelle un autre, Dear Patagonia  qui sortira bientôt. Etrange expérience que cette interview comme une mise en abîme de l'ouvrage dans la réalité car nécessité d'une traductrice pour des mots étrangers malgré une langue universelle, celle de l'art, du talent et d'une envie d'échanger et de partager. Jorge Gonzalez a signé avec Bandonéon une oeuvre polyphonique vibrante. On y trouve de soi, des autres, de l'ailleurs et de l'intrinsèque. A découvrir ABSOLUMENT.


 

Bonjour Jorge, Bandonéon comporte deux parties distinctes: "Bandonéon" et "Juste comme ça". Dans quelle mesure peut-on dire que "Juste pour ça"  a sublimé, en quelque sorte, le récit que vous aviez entrepris dans la première partie?
Les personnages de la première partie « Bandonéon » ne vivent que dans leur présent, ils n’ont pas le recul qui marque le passage du temps et qui leur permettrait d’être plus « auto-conscients ». Ils ne peuvent réfléchir et se voir comme les participants d’une époque ou comme une charnière importante dans l’histoire sociopolitique de l’Argentine.
Il est de même pour leurs sentiments, ceux liés à l’étonnement, à l’exil et à la mélancolie, qui se développent petit à petit sans que les personnages en soient conscients. Il m’était nécessaire de raconter ces vides importants qui apparaissent dans la Bandonéonfiction et la meilleure manière que j’ai trouvée était de parler des vides de ma propre vie dans « Juste comme ça ». Je partage l’expérience de l’émigration bien que les époques soient très différentes. Je pense que les deux parties du livre racontent ce qu’elles doivent raconter, elles sont « fermées » mais sont associées et complémentaires.


Comment expliquer le plaisir du lecteur pour cette deuxième partie?
J’ai rencontré des gens qui l’ont beaucoup aimé et d’autres pas du tout. Je sais seulement que j’avais besoin de la faire. Je cherchais quelque chose de plus frais, comme une prise de notes, où je puisse parler davantage avec les mots qu’avec le dessin, contrairement à la première partie. Il y a des gens qui n’ont pas aimé et je peux le comprendre, soit à cause du dessin, du thème ou parce qu’ils la jugeaient inutile. Je pense aussi qu’il y a  des côtés personnels  qui s’ils ne vous accrochent pas immédiatement ne vous toucheront pas.


Ce "Juste comme ça" est le journal de bord d'un retour au pays. Aviez-vous envisagé dès le départ de le faire éditer?
Tous les jours j’écris et je dessine ce que je ressens, parfois un mot en amène un autre ou amène une image. Beaucoup de choses que je conserve sont un récit  en soi ou offrent la possibilité de s’associer à d‘autres qui apparaissent au fur et à mesure.  La volonté de réaliser « Juste comme ça » est préalable à l’origine du livre. Quelques unes de ses pages sont des questions et des dessins sur des thèmes dont j’avais envie de parler. Maintenant je me rends compte qu’ils étaient le point de départ de la première partie.


On y trouve des passages profondément poétiques et philosophiques: sont-ce des genres auxquels vous vous adonnez régulièrement ? Diriez-vous que le dessin et la poésie ont de nombreux points communs dont, notamment, la nécessité de brièveté ?

Certains dessins ou  tableaux évoquent un nombre infini de sensations et certains films intérieurs, seulement avec leur présence statique…réussissent à « nous transporter ». Il en va de même avec la poésie. La combinaison de dessins et de mots est très Bandonéoncomplexe et bien souvent le résultat final perd de son intensité. Lorsque vous êtes à l’intérieur d’une histoire, il vous est très difficile d’obtenir l’objectivité nécessaire pour que chaque genre bénéficie du maximum d’énergie.


Il semble y avoir une volonté de brosser deux portraits de l'exil: celui de vos personnages de fiction et le vôtre. Quels points communs avez-vous avec ces personnages? Quelles différences notables?
Une fois j’ai entendu Borges dire que « nous avons en nous des multitudes de personnalités ». Dans le livre il y en a beaucoup de mes « multitudes ». Chacune d’entre elles interroge et cherche la manière de « s’expliquer » au mieux en provoquant même de nouvelles questions. C’est là que se situe la fiction qui se déroule dans le passé. J’essaie de me placer dans cet espace que je connais seulement par ouï-dire, par les livres, les films et la musique…Comment parlaient-ils, marchaient-ils,  respiraient-ils ?
La deuxième partie est plus directe et personnelle, il n’y a pas de raccourci et je frôle à peine la fiction. Il s’agit de poser des questions à partir de ce que je connais, à partir de ma propre expérience, sans pudeur ni peur du ridicule. Je cherche à comprendre mes vides.


 

La première partie est-elle à lire comme une catharsis en mots et en couleurs des désillusions et des difficultés de l'exil ? Le portrait d'une fratrie et ses déboires? Y-avait-il délibérément le dessein de laisser le paysage politique en arrière-plan?
Tout le monde traîne derrière lui, d’une façon consciente ou inconsciente, le paysage politique…nous sommes des êtres politiques. Chaque personnage a sa propre vie, il la vie. Je préfère me concentrer là-dessus bien que par moments leur présent politique soit insinué. Il n’y a pas la volonté d’en parler directement mais de rendre « évident » que le paysage politique est présent comme un bruit de fond et détermine sur des nombreux points leurs actions et leurs réflexions.


Vos mots et vos dessins sont imprégnés de nostalgie, l'édition des lettres de vos parents et de leurs souvenirs Bandonéon s'ajoutent à cette idée: la nostalgie est-elle la maladie inéluctable de ceux qui ont quitté leur patrie? Bandonéon exprime-t-il une autre nostalgie? Celle d'une époque  révolue, d'une époque meilleure où tout était plus simple?
La nostalgie provoquée par le vide du chemin qu’on laisse de côté pour en emprunter un autre est un espace dur à porter. Il se produit la même chose avec « Bandonéon ». Le vide nostalgique est aussi complexe pour celui qui préfère rester immobile, sans prendre des risques pour obtenir ce qu’il souhaite. Ce vide est un aimant permanent  qui, tout en perdant de sa force avec le temps, a la séduction de la vie possible qu’on refuse de vivre. Cela engendre de la mélancolie. Le « porteño »(1) (moi inclus) vit toujours entouré d’une nostalgie, d’une mélancolie parfois insupportable. Nous aimons désirer le passé et nous  réjouir de le rechercher …on dirait que nous vivons dans le présent pour qu’il nous reste immédiatement un souvenir auquel penser, pouvoir le revivre plus tard et, constamment, le raconter et le rendre de plus en plus intense. Je crois qu’une partie importante de notre nostalgie provient de notre héritage historique. Il y a une certaine immaturité dans la difficulté que nous avons d’offrir davantage d’énergie dans le présent.
Thomas, votre traducteur français, affirme qu'on supporte mieux les défauts d'un pays qui n'est pas le sien. Adhérez-vous à cette idée?
Oui…C’est la même chose avec la famille…Ce qui arrive dans notre propre famille nous donne à peine la distance nécessaire pour être objectifs. Tout ce qui arrive touche dans le plus intime. Il est très difficile de se voir soi-même et il faut avoir du courage et de la sagesse pour faire une introspection et voir ce qui se passe réellement. Il est plus facile et gratuit de donner un avis sur le voisin et de voir tous ses défauts. L’image que nous en recevons ne nous touche pas directement et au fond me semble une façon plus complaisante de découvrir petit à petit des portes intérieures méconnues. C’est plus agréable, comme un jeu, et parfois plus intellectuel qu’instinctif.

Dans la préface, il explique que vous utilisez certains mots de Lunfardo, c'est à dire d'argot issu du monde des prisons et du tango. Avez-vous fait des recherches sur un vocabulaire spécifique ou étaient-ce des mots déjà familiers ?
Le « Lunfardo » est parlé quotidiennement à Buenos Aires et il était normal qu’on vous offre le « Dictionnaire de Lunfardo ». Beaucoup de mots se sont perdus avec le temps mais la plupart sont toujours présents et continuent de se renouveler.


Bandonéon - danseVotre trait est singulier: chacune de vos vignettes est presque une toile à elle seule. Vous jouez sur des cadrages variés et maintenez une "sensation de flou». Ai -je bien vu ? Pourquoi user de ces techniques? De quelles influences picturales (et autres disciplines artistiques) est née cette esthétique?
J’aime le crayon, les tâches lorsque je passe la gomme ou le doigt, la façon dont il glisse, son instantanéité. J’avais envie de m’asseoir et de faire une page par jour, d’essayer de ne pas arrêter ma main pour corriger. Le crayon vous pousse à dessiner sans vous poser trop de questions, et à laisser les choses telles quelles. Dans le domaine de la peinture j’aime Turner, Ensor, Rothko, Van Gogh… dans celui de la bande dessinée, Muñoz, Horacio Altuna, De Crecy, etc...dans celui du cinéma, Tarkovsky, Welles, Lynch, Lang, Buñuel…

 

La musique semble être un élément obsessionnel dans vos fictions : que symbolise-t-elle? Est-elle un moyen simple de renouer n'importe où avec ses racines?  Une mémoire omniprésente et déplaçable facilement?
Pour moi la musique est quelque chose de naturel, le point de départ et « la colonne vertébrale »  d’une histoire. Dans « Hate Jazz » le jazz vous entraîne à New York, avec les noirs, au chaos et à la décadence. Dans « Bandonéon » le tango est l’immigration, le mélange et la naissance d’une nouvelle société à Buenos Aires. Il est inimaginable de sentir ce Buenos Aires sans la présence du tango. Ses rues et ses visages respirent encore cette musique.


Vous comparez dans "Juste comme ça" l'Espagne et l'Argentine, et au travers d'elle l'Europe et l'Amérique du Sud. Qu'est-ce qui, profondément selon vous,  distinguent ces deux cultures?
La grande différence réside dans le fait que l’Europe possède une culture qui se construit bandoneon_image.jpgdepuis plus de 5000 ans. En Amérique la culture originelle fut interrompue par la colonisation, ce qui provoqua un vide énorme impossible à combler. Cette culture-là fut écrasée et malheureusement un immense potentiel fut perdu. L’indépendance de l’Argentine naît à partir de 1810…on pourrait considérer que l’Argentine a 200 ans d’existence. Il en est de même pour les autres pays sud-américains. D’une façon très simple, voire ridicule, je dirais qu’il s’agit d’une relation entre une personne âgée et un bébé.
Bien que chaque pays ait sa propre culture, sa façon d’être, il y a aussi une certaine inertie ou façon d’être du continent auquel ils appartiennent. Il est évident que l’Espagne et la France ou l’Allemagne sont des pays très différents mais le courant historique et les rencontres pendant des milliers d’années, les guerres, le colonialisme, le commerce, etc… font qu’ils partagent beaucoup de liens. Un allemand et un espagnol ont plus de points en commun qu’un argentin et un espagnol, au-delà de la langue et d’une partie de l’héritage culturel. Le rythme, les besoins, etc…sont très différents. L’empreinte digitale que laisse la culture est d’une force presque impossible à entraver.


Enfin, votre prochain roman graphique se nomme "Dear Patagonia". Quels sont les enjeux de ce nouveau voyage? Y laisserez-vous aussi une part de vous? Quels thèmes (récurrents ou nouveaux) y abordez-vous? Quand sera-t-il en librairie?
« Dear Patagonia » se déroulera dans la Patagonie argentine. Il s’agit d’une histoire qui commence au début du XIX siècle et qui se poursuit jusqu’à nos jours. Je fais le texte et les dessins et je compterai sur la collaboration de Alejandro Aguado, Hernán González y Horacio Altuna. Le thème tourne autour de l’idée de la Patagonie comme oxygène. L’oxygène tantôt aide à nettoyer et à faire des changements, tantôt empoisonne et étouffe. Les personnages agissent dans cette zone du sud du pays,à Buenos Aires et dans quelques pays d’Europe.
Il y a une partie personnelle, très mince, et une autre semblable à « Juste comme ça » de « Bandonéon ». Elle est écrite par Alejandro Aguado, un dessinateur et historien qui habite dans la zone de la Patagonie et qui m’aide à « sortir de terre » de nombreux sujets que j’ai envie de raconter. Il comptera environ 300 pages mais il me reste encore beaucoup à faire. Avec un peu de chance je le terminerai en janvier ou février 2011. Depuis environ un an, je publie presque chaque jour le « making-off » du livre sur www.dearpatagonia.com.


 

(1) « porteño : habitant de Buenos Aires »

Pour lire l'interview en espagnol, cliquez ici!

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3 août 2010 2 03 /08 /août /2010 18:29
jul - photo D.RPropos recueillis par Julie Cadilhac -Bscnews.fr / Jul est d'abord dessinateur de presse, révélateur graphique quotidien des misères et médiocrités de notre société. Révélé au monde de la bande dessinée avec son "Il faut tuer José Bové" qui raillait les altermondialistes, il a poursuivi sa production inspirée pour le plaisir de nos grognements de citoyen du monde agacé, de patriote malmené, d'employé insatisfait. Silex and the city, A bout de soufre sont autant d'ouvrages caricaturaux aux vertus revigorantes. L'interviewer est donc l'occasion de confronter deux métiers à part entière qui, si les enjeux convergent, nécessitent des techniques différentes. L'opportunité aussi de réaliser quant au dessin de presse , quelle puissance argumentative et quelle ampleur lui confèrent cette réputation légère, ce regard institutionnel permissif pour un genre qui se permet beaucoup plus que les mots et qu'on ne fait jouïssivement pas taire. Jul en BD, Jul en juillet,  bulles d'été.

Les Editions Beaux Arts ont publié " Plantu et les 77 dessinateurs" dans lequel vous figurez comme un des caricaturistes qui "partent en résistance contre la bêtise ambiante", est-ce ainsi que vous définissez votre métier?
Ce n'est pas très éloigné de la vision que je peux en avoir : j'ai vraiment l'impression qu'en particulier dans ma partie "dessins de presse" puisque j'ai deux métiers, en fait, qui cohabitent et qui sont souvent différents, à savoir  dessinateur de bandes dessinées et dessinateur de presse. En tant que dessinateur de presse, quand je commente l'actualité, que je fais des dessins sur ce qu'il se passe dans le monde, j'ai vraiment l'impression à la fois de me venger moi-même et de venger mes lecteurs de toutes sortes de choses qu'on subit en tant que consommateur, citoyen ou individu sur la planète: les guerres, les oppressions sociales, sur le lieu de travail par exemple, le bourrage de crâne médiatique sont des choses contre lesquelles je dessine, pour pouvoir respirer plus librement. Il y a une forme de résistance et à la fois ce n'est pas une résistance morbide mais joyeuse qui aide à vivre et donne envie de vivre. Dessinateur de presse est, en général, un métier qui part d'une matière très sombre, très noire mais qui est assez solaire en un sens.

Y-a-t-il eu des dessinateurs qui vous ont donné envie de délaisser votre craie de professeur et d'appointerjul - silex and the city votre crayon? Ou, qu'est-ce qui, plus largement, vous a incité au changement?
Je faisais déjà les deux avant mais c'est évident que, dans mon travail, j'ai été vraiment inspiré par de nombreux prédécesseurs - assez variés d'ailleurs - et  les gens que j'admire le plus et qui m'ont donné envie de dessiner ne sont pas nécessairement des gens qui font des choses qui ressemblent à mon travail. Mais évidemment, étant petit, j'étais déjà un grand lecteur de bandes dessinées puis ensuite j'ai découvert l'univers satirique  Hara- Kiri avec Raiser, j'étais aussi un grand lecteur de Gotlib et ces espèces de maîtres de l'humour ont pour moi beaucoup compté... Sempé également dans un autre style. Ensuite il y avait des gens dont j'appréciais plus particulièrement le travail dans les journaux  - il ne s'agissait pas de les copier ou de faire la même chose - mais c'étaient des inspirateurs. Enfin, le pont entre la bande dessinée et le dessin de presse,  je l'ai franchi grâce à Pétillon qui dessine auCanard Enchaîné avec son l'enquête corse, des albums comme ça : il était passé du dessin de presse à la bande dessinée de manière vraiment fantastique et pour moi, c'était une vraie référence. Donc aujourd'hui dans le travail que j'accomplis, c'est sûr qu'il y a un avant et un après Pétillon. "Il faut tuer José Bové" est né parce que j'avais lu L'enquête corse.

Diriez-vous que vous avez gardé de l'enseignement des réflexes pédagogiques, une volonté de clarté, de rigueur et d'éveil des consciences?
Je ne suis pas très pédagogue, je pense, je préfère convaincre par la connivence, séduire par des traits d'esprit plutôt que d'être réellement pédagogue, être très ordonné et orienté. Je préfère créer un peu le trouble, débusquer des choses un peu absurdes et laisser les gens être seuls juges et se faire leur propre opinion; je n'ai pas l'impression que je transmets quelque chose comme le ferait un prof. En revanche, la partie professorale m'a amené à m'intéresser à toutes sortes de choses et le côté "recherche" davantage qu'enseignement finalement m'accompagne toujours. Je me nourris d'absolument tout ce que je lis et que je trouve, que ce soit de la télé -réalité ou des derniers essais philosophiques sur tel ou tel sujet. Je pense que tout est bon à utiliser.

silex and the cityQuel rôle accordez-vous au dessin de presse? Est-il un condensé de l'actualité, un moyen d'appâter l'oeil ou la touche légère du journal?
Ce n'est pas forcément léger, c'est quelque chose qui permet d'ouvrir l'esprit et de conserver surtout l'esprit critique aiguisé aussi bien chez les gens qui font le dessin de presse que chez ceux qui les lisent, c'est à dire que sur des choses qui nous paraissent évidentes, le dessin de presse pointe des aspects qui ne le sont pas tellement. Aussi, on reste éveillé et l'on garde ce goût de la critique, du second degré et de la distance par rapport aux choses. Très souvent, on a envie de nous mettre la tête un peu sous l'eau et le dessin de presse permet de respirer.

Vous semblez être un amateur de jeux de mots, peut-on affirmer que pour JUL, c'est le texte qui donne l'impulsion du dessin?
Je pense que c'est un ensemble : il y a  certains dessins qui me viennent par le biais du graphisme : je griffonne sur un petit bout de papier et d'un coup, en dessinant une tête de personnage, hop un dessin me vient. Parfois  je réfléchis simplement et par une analogie sur les mots me vient le dessin qui découle, dans ce cas, complètement du langage... mais c'est, en général, très entrelacé, et j'aurais du mal à dire lequel vient avant. C'est bien souvent un savant mélange, un petit peu miraculeux et, si j'avais la recette, évidemment, je pourrais la refiler à tout le monde. Je pense que c'est le cas pour la plupart des dessinateurs, on est le plus souvent étonné de trouver une idée sur un sujet et on ne sait pas comment elle est venue.

La parodie est un bon moyen d'aborder des sujets épineux ou controversés. Peut-on affirmer que le dessinateur peut aller plus loin que le journaliste, que celui qui écrit un texte? Le dessin, par son abord un peu ludique, a -t-il plus de liberté et de marche de manoeuvre?
C'est sûrement vrai. On a une liberté de ton très très forte et, ce qui aujourd'hui choquerait chez un Stéphane Guillon ou Didier Porte, pour être vraiment dans l'actualité,  apparaît très fade et très neutre pour nous, dessinateurs de presse. On  fait dix fois pire tout le temps dans nos colonnes sans que les gens s'offusquent. Il y a une attente par rapport à ça alors que l'écrit ou l'oral sont perçues comme devant être plus sacralisés, plus sérieux. Grâce au dessin, cette mise à distance graphique permet d'aller plus loin, ça c'est sûr. Moi, si je décrivais ou faisais des blagues à l'oral qui correspondent aux gags de mes dessins dans un média, ça passerait très mal, j'aurais tout de suite des procès. Le dessin nous met un peu plus à l'abri.

Silex and the city, A bout de soufre sont les titres de vos derniers albums : à quel point le titre d'une bande dessinée est primordial?
J'aime beaucoup les titres et j'aime bien en faire et d'ailleurs il m'arrive souvent de titrer les articles des autres, de copains qui cherchent à trouver un titre pour leurs reportages ou autres. Le titre est une porte d'entrée vers un dessin , un album ou un article qui est capital. On se bat dans une jungle littéraire : il faut attirer l'oeil de celui qui arrive dans une librairie, aussi un graphisme et un titre qui sortent un peu de l'ordinaire sont décisifs. Il y a en effet une énorme production de bandes dessinées, 5000 titres par an, cela représente plus de 15 albums nouveaux par jour, c'est complètement délirant!  Alors un titre, ça compte justement...mais il ne faut pas que ce  soit  un titre pour un titre, il faut que ça corresponde à quelque chose de l'album et voilà, tout l'équilibre est là: il faut trouver un titre qui ait du sens, qui soit profond et qui, à la fois, permette tout de suite d'allumer quelque chose dans l'oeil de la personne qui le lit.

L'objectif d'A bout de soufre, c'était de dynamiter les icônes d'hier et d'aujourd'hui?a bout de soufre
Oui, parce qu'il y a des gens qui sont mis au rang d'icônes et qui font très très peur, comme Ben Laden ou Georges Bush,  des figures mythiques ou imaginaires qui sont épouvantables et puis d'autres , au contraire, qui incarnent vraiment la gentillesse absolue, l'idéal de tout le monde comme, par exemple, Le Petit Prince. Donc mélanger Jérôme Kerviel et le Petit Prince, Barack Obama et Yann Arthus Bertrand, c'est à dire des gens qui sont omniprésents dans les médias et sur lesquels tout le monde a son idée... Nicolas Hulot ou Sarkozy etc... cette galerie de portraits que l'on doit subir toute la journée, pour une fois, on peut s'en emparer et la tordre dans tous les sens, en faire ce que l'on veut et ça c'est un peu jouissif.

Vous pratiquez la satire d'une façon un peu salutaire , un moyen d'évacuer les râleries du quotidien, vous êtes un accoucheur de la morosité...
Il y a une vertu presque médicale dans le blasphème concernant les icônes politiques et culturelles et c'est bien de ne plus être agenouillé devant cette espèce de totem qu'on doit supporter mais d'aller se dérouiller un  peu les jambes en courant autour de tout ça .

Vous avez participé à la création d'un recueil intitulé "bye bye bush": quelles étaient les consignes données aux illustrateurs qui y figurent? La vôtre " In food we trust" décline à plaisir le thème de l'obésité...
C'était assez libre: on devait faire une création pour un album qui sortait à l'occasion de la fin de l'ère Bush puisque, de toutes façons il ne serait pas réélu car il ne se représentait pas et c'était l'occasion de faire un petit bilan...ou alors on pouvait imaginer ce qui se passerait dans le futur et c'est l'option que j'ai choisie. En gros, je ne voulais pas que ce soit trop ancré dans une actualité brûlante, j'ai gardé le thème des élections américaines en y ajoutant cette explosion de l'obésité fantastique aux Etats-Unis; j'ai choisi de prendre un thème de société pour traiter un thème politique, ça permettait de rendre le truc un peu moins éphémère.
jul silex politique.1252677389Plutôt plaisantin que vindicatif?
On ne peut pas vraiment prescrire la façon dont sera reçu un dessin. Mon état d'esprit lorsque je crée, c'est surtout de déceler de l'humanité dans toutes les choses, c'est à dire montrer que les mesquineries, les nullités, la méchanceté, la cruauté sont des choses que tout un chacun porte en soi et qu'un tel - qui a l'air d'être le mal incarné - est sans doute plus simplement un minable qui fait des petites choses dans son coin comme nous tous. C'est plus efficace selon moi de ramener les choses qui sont mythifiés à une dimension un peu plus prosaïque, intime, ridicule. Peut-être finalement que cela provoque une sorte d'intimité et cela maintient  une forme d'indignation ou de colère mais sans enflammer tout. L'objectif est de maintenir sans arrêt une petite braise d'attention qui ne s'éteindrait jamais ; les grands feux parfois font des flambées fantastiques mais durent peu alors que mon approche est d'être sans arrêt un peu goguenard, ironique pour ne pas fermer l'oeil et ne pas juste se contenter d'un grand coup de gueule qui ne donnerait rien à la fin. En bref, faire une espèce de gymnastique permanente qui ne s'arrêterait jamais.

Le tome 2 de Silex and the city sort le 28 août : la famille Dotcom repart pour une nouvelle campagne politique?
Le père qui a expérimenté la politique ne peut plus retourner à l'éducation nationale, il a pris le goût de la liberté donc il est recruté par un chasseur de têtes et il va travailler dans le privé. Il va découvrir en fait que la vraie sauvagerie, c'est la vie de bureau et  pas du tout le monde tel qu'il avait l'habitude de le voir ; il va bosser pour une boîte pour des concepts innovants. Lui, il va être chargé du dossier sur le monothéisme et sur l'inhumation, en moins 40000 avant J.C ( rires). Tandis que la mère fait une petite dépression nerveuse inter-glaciaire et donc va être arrêtée. Il faut qu'elle trouve un remplaçant pour ses cours de préhistoire-géo et ce remplaçant va être un personnage qui ressemble terriblement au Petit Prince.

Le titre "Réduction du temps de trouvaille" ainsi que ce cadre à l'époque glaciaire semblent être un clin d'oeil à une période contemporaine de crise et à l'allongement voté des retraites?
Autant le premier album traitait de pas mal de sujets politiques, autant ce deuxième traite de sujets sociaux que ce soit en rapport avec la consommation - le fils essaie de créer une chaîne de magasins équitables qui s'appellent Nature et Découvertes et ses contemporains ne sont pas du tout intéressés par la découverte donc au final il va juste appeler ça Nature - et le père va vraiment s'initier à l'univers des DRH, des réunions de commerciaux et toute cette vie de bureau avec costumes et cravates qu'il ignorait complètement parce qu'il était jusque là fonctionnaire de l'âge de pierre, toute cette dureté-là que tout le monde connaît en France, c'est une façon de l'aborder encore une fois avec la distorsion de 40000 ans de distance.

Quelle dernière actualité a provoqué un dessin de JUL?
Pour l'instant, je suis encore en train de dessiner sur les démissions de ministres et sur l'affaire Woerth et Bettencourt... mais je fais deux ou trois dessins par jour sur l'actualité et très vite une actualité chasse une autre. J'ai fait aussi aujourd'hui un dessin sur la canicule...

Après Silex and the city 2, y aura-t-il un troisième tome?
C'est encore dans le canon du pistolet mais ça ne saurait tarder à partir.
Une dernière actualité?
Oui, depuis trois semaines , nous sommes une poignée de dessinateurs de presse à avoir notre application sur I phone: on peut s'abonner aux dessins de presse et du coup , tous les jours on peut recevoir un dessin que j'ai fait sur son téléphone et ça ne coûte que quelques centimes par mois. C'est le truc nouveau, sympa, dans les nouvelles technologies. L'application se nomme " ça ira mieux demain" et apparemment ça cartonne parce que les gens qui s'occupent de la plateforme disaient que c'était la troisième application news la plus achetée.
Merci Jul.
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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 13:07

 

Seb Cazes Interview de Seb Cazes par Julie Cadilhac - Bscnews.fr / Illustrations Seb Cazes

Bonjour Seb Cazes, vous êtes illustrateur et créateur de films d'animation: comment sont nées ces deux aspirations artistiques?
Bonjour bonjour, j'ai en effet plusieurs casquettes. Dessiner a toujours fait partie de mon quotidien, très jeune je voulais être dessinateur de BD, je faisais d'ailleurs pas mal de planches et ça a perduré jusqu'à mon entrée aux beaux-arts d'Angoulême. Ensuite j'ai eu envie d'élargir mon champ d'action et  ne pas me cantonner à la vignette, je me suis donc orienté tout à fait naturellement vers l'illustration au sens large, vers le graphisme. Je me sentais moins libre à prétendre faire de la BD à temps plein, et justement, la notion de liberté dans le trait ou dans la vie en général est ce que je recherche en permanence.Quand j'ai commencé à animer quelques dessins, à faire des petits essais 2D,
ça faisait déjà des années que je m'intéressais au film d'animation et au court métrage,j'avais beaucoup de références en tête qui m’intéressaient vraiment. Il suffisait juste de se lancer, passée la frontière technique. Tout est venu naturellement. Je me force rarement, j'ai au contraire envie d'éprouver du plaisir et de la passion dans ce que j'entreprends. Pendant quelques années, le festival national d'animation organisé par l'AFCA ( association française du cinéma d’animation) a décidé de se baserà Auch, ça a donc été un élan supplémentaire pour moi et c'était chouette de rencontrer des gens de partout dans ma ville, de participer à des stages, de découvrir de nouveaux films etc...  
Affirmeriez-vous que tout illustrateur a des éléments obsessionnels , des univers de couleurs qu'il utilise plus souvent que les autres? Quels sont les vôtres?
Chacun est marqué consciemment ou non par quelque chose, des éléments du passé,des styles de décors, de paysages, ou d'une façon d'être vis-à-vis de l'autre, de genres
de couleurs, de lumière.La création part d'abord d’un élan inconscient qui sert de déclencheur à toute oeuvre. On pourra passer des heures à expliquer le concept et philosopher sur une oeuvre, il y aura toujours une part d'inconscient en elle. Effectivement des éléments obsessionnels peuvent découler de là: je me suis rendu compte qu'à une époque je travaillais beaucoup dans les tons chauds, surtout des ocres/ rouges/jaunes etc. sans prendre le recul nécessaire : mes clients me faisaient la remarque que je ne seb Cazes variais pas assez. J'aime travailler de cette façon et je ne cherche pas à l'expliquer mais maintenant j'aime autant bosser sur n'importe quelle base de couleurs, en noir et blanc, je n'ai ni barrière ni à priori, ça permet justement d'abord de varier, ensuite de mieux revenir à ma "base", avec plus de plaisir et d'authenticité.
Après, je ne peux pas parler de façon générale, mais il est plus facile de deviner les codes couleurs chez certains (les couleurs "feu" de Mc Kean par exemple, qui sont autant présentes dans ses illustrations persos que commerciales , les couleurs complémentaires dans les films de Jean-Pierre Jeunet etc) quand on ne se pose même pas la question chez d'autres. De toute façon, tout dépend toujours de l'idée de départ, qui 99% du temps donne le ton.
De quoi se nourrit votre trait? Avez-vous des mentors en matière d'illustrateur? de photographe? de réalisateur?
Le dessin, c'est 24h/24 qu'il se nourrit. Un dessin découle d'une observation faite dans le train à la va-vite, en scrutant un visage à la télévision, en se remémorant un rêve de la nuit précédente... sans compter le fait que je me pose souvent pour dessiner quelque chose que je vois, un décor qui me plait, une attitude etc. Je suis toujours avec un carnet de croquis sur moi depuis 15 ans. J'ai besoin de recherches sur la matière, besoin d'ouvrir de nouvelles voies personnelles et quand je m'épuise sur quelque chose, j'essaye d'ouvrir une autre brèche, pour varier mon trait, en dessinant de l'autre main, ou sans regarder etc.Le genre de spontanéité qu'on perd dès qu'on passe à l'âge adulte en somme,la liberté du trait qu'on ne réfléchit pas à entretenir étant enfant.Le tout est de toujours essayer de se sentir libre dans ce qu'on fait. j'adore aussi regarder le travail des autres mais si c'est pour se dire qu'on fait la même chose, c'est pas la peine. Le milieu de l'illustration fonctionne pas mal par "modes", je n'ai jamais cherché à être à la mode, ça m'a sûrement fermé plein de portes, mais au moins je me sens libre dans ce que je fais, intègre,et je ne me pose pas la question de savoir si dans 5 ou 10 ans ce que je fais maintenant sera complètement à côté de la plaque. Je fonctionne plutôt dans le mode inverse, c'est à dire que j'ai besoin d'être sûr de ce que je fais (et ce même si le processus de création inclut des « accidents » et des doutes dans la conception de l‘image finale) avant de soumettre telle ou telle proposition de commande à un client, car même si le style ne lui plaira pas forcément, je pourrai défendre le projet sans laisser place au hasard, et ça vaut mieux de défendre l'histoire et la philosophie d'une illus avec ses tripes et sa tête plutôt qu'en se renfermant derrière l’excuse qu’on appartient à une vague d'illustrateurs/tricesà laquelle on peut se conforter pour parler de soi, juste parce qu‘ils-elles marchent bien. Des fois je vois une illus et je pourrais l’attribuer à 10 personnes tellement certain-e-s font la même chose, je trouve ça très dommage, même si on a besoin de stimulation et puis si être un-e illustrateur/trice aujourd'hui consiste à créer le buzz sur des sites communautaires ou à harceler des éditeurs et agents d'illustrateurs, tout en abreuvant un blog, alors je dois être à côté de la plaque car je ne sais pas faire. Je préfère franchement me sentir libre et cette liberté est la nourriture de base de mon trait. Je n'ai pas envie d'avoir un blog simplement parce qu'il y en a déjà des millions et qu'on est pas le centre de la terre et que ça demande un travail d'alimentation quotidien et je n'ai pas envie de me sentir prisonnier de ça....et je n'ai pas non plus besoin de prendre de drogues pour être plus farfelu. Quand je ne suis plus inspiré, j'aime revenir aux sources, regarder les livres de mes "guides" ou "mentors" comme Fred, Roland Topor, de Crécy, Alberto Breccia etc, depuis l'adolescence une super passion, ou j'aime regarder les boulots de gens que j'ai découvert plus récemment, ces dernières années, comme Paul Madonna,David Hughes, Lars Henkel, Jochen Gerner, Chloé Poizat... j'aime leur liberté de ton et de Seb Cazestrait, leur univers singulier, le fait qu‘ils me poussent à aller de l‘avant...La video est ultra importante aussi, en terme de cinéma j'ai été énormément marqué par les films de Jan Svankmajer, qui combinent à la fois la technique de l'animation, la recherche constante de la matière, la peinture avec les oeuvres de sa femme Eva dedans, et au sujet de l'absurde et du surréalisme, et donc de l'inconscient. Ce couple est un vrai couple d'artistes et l'exposition à Annecy en 2002 à l'occasion du festival d'animation était une des expos les plus impressionnantes  et hallucinantes qu'il m'ait été donné de voir ! En animation pure j'ai été énormément marqué par les films de Paul Driessen, Mickaël Dudok de Wit, Wendy Tilby, et surtout Gianluigi Toccafondo. Enfin, j'aime les photos de Sarah Moon mais j'aime surtout découvrir de "petits" photographes sur des festivals ou partout sur internet au hasard, j'aime les polaroïds, les lomos, tout ce qui donne une ambiance réelle et plus bizarre à la matière photographique.

Vous semblez cultiver l'imaginaire dans vos personnages alors que vos décors urbains penchent vers plus de réalisme: je me trompe? Et pourquoi?

Je ne me pose pas la question comme ça, l'illustration devant être un ensemble.Peut-être avez-vous noté que je m'inspire énormément des lieux dans lesquels je voyage : à chaque fois que je vais quelque part, je remplis un carnet de voyage, de collages, de souvenirs écrits, de tickets de caisse, de photos, et bien sûr de dessins, aquarelles.Mes illustrations se nourrissent aussi de ce que j'ai vu ailleurs, par exemple dans ma BD, "le dresseur de chevreuils ambidextres", la ville est un mélange de San Francisco, de Toronto, de Paris... le côté réaliste découle de là je suppose, même si je ne cherche pas à respecter la perspective au maximum...disons que les éléments de décors urbains sont très réalistes, la façon de les agencer l'est moins, j'aime tordre mes décors aussi, en même temps que mes personnages... mais là non plus la question ne se pose pas comme ça. Je n'ai pas de règles prédéfinies, je veux juste sentir que je suis libre dans ce que je fais,en tout cas dans mes boulots persos, et pour un travail de commande, ça ne pose aucun problème de m'adapter à autre chose, bien au contraire. L'accumulation d'expériences enrichissantesseb cazes - l'ogre permet aussi de voir plus loin, d'avoir plus de recul. Sur le fond, j'aime mélanger mes expériences quotidiennes absurdes, avec certains éléments de mes rêves et certains textes écrits de façon"automatique", afin de créer un univers singulier, qui oscille entre rêve et réalité, sans trop savoir où en est la réelle frontière. Tout se mélange et tout pourrait être crédible sans vraiment l'être en même temps. C'est cette confusion qui m'attire, c'est de là que je fais naître mon imaginaire. D'une façon générale,j'aime créer des univers plutôt poétiques et absurdes, pour le milieu culturel par exemple, qui deviennent un peu plus "trash" dès que je suis sur un projet perso. L'imaginaire découle du fait qu'une action poétique part d'un paysage concret.
Je n'aime pas trop être terre-à-terre, mais ce n'est pas non plus une "recette" de travail. Je n'ai pas de formule, je pars de zéro systématiquement.
Sur votre myspace, on découvre une série de crayonnés où vous déclinez une rue, des immeubles ou une vieille bagnole...qu'est-ce que vous aimez particulièrement dessiner dans un paysage citadin? Pourquoi?
Je suis curieux et j'aime aller partout. je suis attiré par la matière, un vieux mur dégradé que je prends volontiers en photo, une façade d'immeuble surchargée. Au début je ne voulais pas trop dévoiler de croquis. Ce sont des croquis et ça n'a pas grand intérêt mais je me suis rendu compte de l'importance que prenait cette habitude de remplir des carnets au quotidien, ça fait partie du processus de création et c'est la base de toute idée et tout projet. Je crois que j'aime dessiner à peu près tout. Les immeublesplus lisses ne m'intéressent pas, mais ils peuvent devenir intéressants suivant un certain agencement absurde qu'ils pourraient prendre si on pouvait soudainement les voir du 15ème étage par exemple. L'acte de dessiner tout et n'importe quoi n'est rien d'autre qu'une prise de recul par rapport aux choses, et ce qui m'intéresse c'est de capter cet élan de motivation, ce feeling qui fait qu'on va vouloir dessiner ci ou ça, même si ça n'aura jamais aucun intérêt dans un futur projet, ça a au moins le mérite de contribuer à
la pratique du dessin, ainsi qu'à continuer la série de carnets de croquis, dont l'accumulation et la collection constituent une oeuvre en soi. Alors ,oui ,c'est quand même plus excitant de dessiner une vieille DS qu'une 205,c'est plus excitant d'être face à un appartement vintage ou rococo que d'un meublé ikea, ça dépend forcément du sujet, mais en ce qui me concerne c'est évidemment bien mieux quand il y a du détail et de la matière, et surtout, de l'accumulation. L'accumulation est un sujet sur lequel je travaille depuis les beaux-arts, qui jusque-là était inconscient. Dans le côté urbain, je me souviens des centaines d'antennes télé sur les toits de Lisbonne, (ou de Nice d'ailleurs),des longues cheminées un peu partout en Angleterre, des murs complètement dégradés à St Petersbourg sur des kilomètres, c'est ce genre de détails qui m'attire et me motive.
Une fois j'ai passé une après-midi à traverser Paris dans un axe sud-nord, en m'arrêtant à des terrasses de café juste pour pouvoir dessiner des perspectives et des façades
sympas. Bon, à la fin de l'après-midi, j'étais un peu éméché et mon trait n'était plus vraiment le même, mais au moins j'avais pris le temps de lever la tête !
Festival Circa - Seb CazesParlons d'animation maintenant: quelles techniques avez-vous employé pour le festival Circa? et pour Kensington? Insult to Injury était une commande d'un groupe musical?
La bande annonce du festival Circa est mon dernier film d'animation en date, et il s'agit d'un film de commande, alors que la plupart de mes films sont des projets personnels.
Il fallait donc que je travaille plus vite je me suis donc concentré sur une seule technique qui est la 2D (dessin animé traditionnel, la technique qui me "parle" le plus).
Ma motivation pour ce film était de créer cette ambiance de transition qui existe entre le moment où l’on rentre dans la salle ou le chapiteau, et le moment où le spectacle
commence. Ce sont des instants qui me marquent à chaque fois dans tous les festivals que je fréquente et je voulais participer aussi à ça dans l’inconscient du spectateur.
Kensington est une sorte de carnet de voyage filmé, c'est donc une autre manière de faire car le film combine un peu de travail en 2D avec beaucoup de rotoscopie : en effet, ayant beaucoup filmé au Canada, j'ai repris pas mal de séquences en image par image pour les repeindre une par une: c'est une technique très longue mais il y a pire, et le résultat, toujours plein de matière, est toujours très attirant. Je voulais garder cette trace de film video dans l'animation, car le but du film était de parler de ce quartier de Toronto pour lequel je suis vraiment tombé amoureux. Outre l'aspect video, il y a aussi l'aspect son pris dans la rue là-bas, qui est authentique. Insult to Injury est mon tout premier film et a déjà quelques années derrière lui. Je l'ai fait en 2002 et il a pas mal tourné dans des gros festivals,comme Annecy, Oberhausen, Séoul, Ottawa...
Ce n'était pas du tout un film de commande ni un "clip",j'ai juste contacté le groupe, "the Butchies", pour avoir l'autorisation de bosser sur une de leurs chansons. Je voulais combiner l'intérêt que j'avais pour ce groupe avec les idées engagées que celui-ci véhicule au travers de ses chansons, à savoir en majorité, des textes contre l'homophobie: ça m'a permis de vraiment faire un film cobaye (car j'ai utilisé plusieurs techniques, comme la pixillation, la rotoscopie, la 2D etc) au niveau de l'animation, tout en parlant d'un sujet engagé, tel que le sexisme. Plus généralement, mes films parlent plutôt d'écologie et de connerie humaine, comme dans "la nuit tous les chats sont morts" par exemple.
Vous travaillez pour les circuits-circa: en quoi votre univers pictural s'adapte-t-il bien, selon vous, l'univers du cirque?
Circuits est une saison culturelle échelonnée sur un an, Circa un festival de cirque actuel ponctuel qui a lieu une fois par an. L'univers pictural que je crée pour eux se doit
avant tout d'être un univers qui parle au milieu culturel. Comme "milieu culturel" ne veut finalement pas dire grand chose, je suis assez libre de créer sur ces 2 affiches.
J'essaye donc de développer un univers poétique et surréaliste, car le visuel de circuits se doit d'englober tout ce que peut contenir une saison culturelle : danse, théâtre, cirque. Le visuel circa n'est pas si différent à traiter car le cirque actuel contient toutes ces disciplines. Je ne peux pas dire que mon univers s'adapte bien ou pas au cirque.
Je propose des idées de visuel mais on s'oriente ensemble sur ce que le visuel va être au final. Je n'ai pas la prétention de dire que lucarne - Seb Cazesje connais le cirque par exemple, je ne suis qu'un spectateur, mais le cirque est beaucoup plus varié aujourd'hui, la possibilité de faire une affiche dessus est peut-être beaucoup plus large. Je n'ai donc pas forcément à m'"adapter" car je ne suis pas en dehors. le résultat final découle de 2 ou 3 mois de concertations et même si je suis influencé par une certaine iconographie cirque,je ne peux pas m'en servir car il n'est pas question ici de cirque traditionnel avec animaux etc. Mon travail de graphiste-illustrateur s'est forgé au fil des années en même temps qu'a évolué la scène culturelle auscitaine, c'est à dire qu'ils ne sont pas venus me chercher parce que mon style correspondait à ce qu'ils recherchaient, ça a vraiment
été un travail et une évolution commune au fil des années, ce qui constitue un travail hyper précis mais finalement très libre et ouvert.
Quels projets pour 201O? Vous avez également une boutique en ligne? Que peut-on y trouver?
Oui je peux vendre des supports dans une boutique en ligne, ça peut être carrément une oeuvre comme une toile ou une illustration sur papier encadrée, ou bien un print numérique, des t-shirts sérigraphiés que j'ai fait, des affiches, flipbooks, mes bouquins... il y en a pour tous les prix suivant le support, mais ça reste très underground et do it yourself.J'ai passé l'année 2009 à faire des expos un peu partout ce qui fait que je ne vais pas en faire en 2010, je vais me reconcentrer sur plusieurs projets, la plupart étant des livres. Je travaille actuellement sur une grosse BD dont le scénario m'a été fourni mais j'ai parallèlement à ça presque fini deux bouquins pour enfants, deux livres d'illustration...et une fois tout ça achevé, je voudrais reprendre un film d'animation abandonné (en volume et marionnettes celui-ci) qui sera accompagné en même temps d'un bouquin, sous forme de roman graphique. Depuis la fin des années 90; j'édite des petits ouvrages d'illustration DIY avec Presse à Grumeaux  donc je vendrais sûrement les futurs petits bouquins illustrés dans la boutique évidemment. Quasiment tous les bouquins (Gutter, Isabelle Boinot, Lars Henkel, Sarah Malan, moi-même..) que j'ai édité étant épuisés, ils ne sont disponibles que sur des stands de salons du livre ou de zines, mais pas en ligne. Ceux à venir le seront assurément.

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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 16:46

 

Jérôme Garcin par Arnaud TaeronInterview de Jérôme Garcin par Julie Cadilhac- bscnews.fr / Illustrations Arnaud Taeron / photographies Pierre Gable.
Dès lors que l'on a gardé un contact moelleux quelques heures avec l'écriture de Jérôme Garcin, on s'exalte sur le lyrisme de sa plume et sur ses mots gandins qui n'hésitent pas à nous immerger dans un vocabulaire équestre érudit. Pourtant c'est avec le mot "juste" que cet écrivain définit ses voltes littéraires et l'on ne peut qu'acquiescer devant cet adjectif tout aussi humble que rigoureux. Son dernier roman " L'écuyer mirobolant" est une nouvelle déclinaison de sa passion pour les chevaux sur fond de paysages d'Afrique du Nord et des Landes françaises. On y rencontre Etienne Beudant, incarnation de l'écuyer idéal dont l'amour fiévreux pour les équidés force l'admiration et contamine le lecteur néophyte. Plaisir donc de rencontrer son créateur et d'obtenir quelques clés de lecture sensible. Une interview où la plume se démasque, où le mors se relâche le temps de quelques confessions, où le bucolique souffle comme un parfum exaltant sur nos jours citadins et où l'on finit par souhaiter que le galop de la plume de Jérôme Garcin poursuive sa course encore longtemps!

Le titre "l'écuyer mirobolant" est-il un pied de nez à la modestie de son personnage principal? Etienne Beudant aurait-il apprécié le compliment?
Pour tout vous dire, je pense que même si Beudant était effectivement tel que je l'imagine - puisque j'ai plus rêvé sa vie que je ne l'ai racontée dans la réalité - même s'il était très humble - ce qui est pour moi une loi fondamentale de l'équitation- je pense qu'il l'aurait aimé parce que j'ai clairement emprunté le titre au général Decarpentry qui  a vraiment dit de Beudant qu'il était un écuyer mirobolant. Venant de Decarpentry qui était un homme de cheval, Beudant l'aurait non seulement accepté mais reconnu. En plus, mirobolant est un mot très joli parce qu'un peu daté. C'est le mot qu'a utilisé Decarpentry pour exprimer sa fascination pour un cavalier hors norme - c'est évidemment un éloge mais qui fait allusion à la magie de l'art de monter de Beudant. 


Peut-on affirmer que vos romans tendent à enraciner leur récit dans l'Histoire? Pourquoi? Est-ce simplement un goût Cheval -livre Arnaud Taeronmarqué pour les crises historiques? pour les grands hommes? Jugez-vous plus pertinent de faire mouvoir un personnage au coeur d'une tempête? Pensez-vous que la littérature gagne à se nourrir des cicatrices et des envolées épiques de l'histoire?
Dans C'était tous les jours tempête et L'écuyer mirobolant, il y a effectivement un point commun - même si les personnages sont totalement opposés - je fais quelque chose que j'aime beaucoup faire et lire chez les autres, c'est à dire me glisser dans ce que j'appelle les " trous de l'Histoire", ces moments qui sont indéterminés. On ne sait absolument rien des jours qui ont précédé la mort d'Hérault de Séchelles et je me suis glissé dans ce trou-là pour imaginer ce qu'aurait pu être sa fin, la confession de Hérault de Séchelles avant d'être guillotiné. De la même manière, sur le véritable Etienne Beudant , on dispose de deux traités importants de technique pour les cavaliers et d'une biographie qui se réduit à quinze lignes. On sait ses dates de naissance et de mort, on sait qu'il a servi en Afrique du Nord mais tout le reste, ce sont des "trous de l'histoire" et je m'y suis glissé pour imaginer une rencontre avec Calamity Jane, pour composer, par exemple,  des dialogues totalement imaginaires entre  Lyautey et Beudant. J'aime me faufiler dans les moments de l'Histoire qui restent inconnus et en profiter pour y glisser en même temps des choses qui me sont très personnelles. J'abuse de mon pouvoir de romancier pour insérer, dans ces trous de l'Histoire, des obsessions, des idées qui sont les miennes.


L'écuyer mirobolant nous entraîne en Afrique du Nord : y-avait-il dessein de rendre hommage à des pays dont la culture vous émeut ou était-ce simplement le besoin esthétique de placer le personnage dans un cadre plus "exotique"? ou était-ce simplement par conformité historique?

La première raison est historique: le jeune Beudant est nommé d'abord en Algérie ensuite au Maroc et il va passer vingt cinq ans de sa vie en Afrique du Nord. C'est une vérité historique, je n'ai vraiment rien inventé.L'essentiel de sa vie de petit militaire - il était capitaine de l'armée française - aura été de servir en Algérie et au Maroc; il n' y a donc pas de choix exotique, c'est une réalité. Cependant c'est une culture qui a  avec le cheval une relation passionnelle et de manière générale, les chevaux Arabes -qui sont à l'origine de toutes les races - ont avec leurs cavaliers des relations exceptionnelles. Donc je voulais insérer dans le décor cette relation historique. J'ajoute aussi que l'art de Beudant - et là, pour le coup, quelques photos l'attestent de manière très forte - a été précisément de pousser le génie jusqu'à faire de ces chevaux barbes - qui sont la race majoritaire dans ces pays du Maghreb - de véritables oeuvres d'art, y compris les chevaux abimés, cassés, fatigués, malades...et quand on le voit monter ces chevaux qui sont faits pour l'endurance, pour le terrain mais pas tellement pour la haute école, on constate qu'il a réussi à obtenir de ces chevaux qui ne sont pas faits pour ça des figures époustouflantes. Connaissant ces chevaux du Maghreb, nous avons donc  la possibilité de juger de ce qu'était véritablement le génie d'Etienne Beudant. Arrivé à Dax, presque au milieu de sa vie, il a eu le regret de l'Afrique du nord mais aussi des chevaux qu'il montait dans ces paysages d'Afrique du nord car il y avait quelque chose là-bas de l'ordre de la mystique, il avait trouvé sa seconde patrie.


Jument - Arnaud TaeronLors de la sortie de votre roman "cavalier seul", vous parliez de cesser d'écrire sur les chevaux : qu'est-ce qui vous a remis en selle?
La passion chez moi pour les chevaux tourne un peu à l'obsession et j'ai eu le sentiment qu'après La chute de cheval, Bartabas roman et  Cavalier seul,  j'avais fait le tour de tout ce que je voulais écrire sur la question et qu'aller au delà, ce serait abuser de la sympathie, de la curiosité ou de l'intérêt des lecteurs et donc j'avais pris cette décision qui répondait à une réalité toute simple: j'ai mal vécu de devoir me séparer de mon cheval parce qu'il était arthritique et que je ne pouvais plus le monter aussi je me suis dit que si j'arrêtais de monter ce cheval qui est mon cheval, de la même manière j'arrêterai d'écrire sur les chevaux parce que les deux sont liés. C'était donc une décision parfaitement raisonnée mais la passion a pris le dessus. Contrairement à ce que je disais, j'ai continué à monter plus que jamais après avoir mis mon cheval au pré, même si je n'ai pas repris de cheval - je monte les chevaux des autres. Je monte toujours autant et de la même manière,  je me rends compte que je suis incapable de ne pas écrire sur les chevaux qui sont pour moi beaucoup plus que des chevaux: je leur dois énormément, c'est grâce à eux que je me suis mis un jour à écrire. J'avais envie de continuer;  c'est un peu comme lorsqu'on est au galop, on n'a pas forcément envie de s'arrêter, on a envie de continuer - donc, effectivement, vous avez raison, je n'ai pas tenu parole et j'ai voulu encore me faire plaisir.


Vous racontez les chutes de Beudant: dans quelle mesure l'accident est constitutif de tout cavalier? Pas de vrai cavalier sans chute? Doit-on lire cette passion équestre comme une métaphore de la vie en général?

Oui, évidemment, raconter la vie des hommes, c'est aussi raconter la vie de ceux qui montent, la métaphore est évidente. Pour ce qui est des chutes, d'abord, c'est vrai, on ne monte pas sans tomber, quel que soit son niveau, qu'on soit simple cavalier ou Bartabas, on tombe : c'est une réalité. Dans le cas de Beudant, j'ai été bouleversé par l'idée que cet homme avait tout sacrifié aux chevaux et que c'est au moment où il arrivait au sommet de son art qu'il a du, brisé par ses chutes, y renoncer. Pour un homme qui vivait depuis son plus jeune âge sur quatre jambes, le fait d'être paralysé, cloué dans un fauteuil roulant et vivre pendant vingt cinq ans avec des béquilles ou dans un fauteuil est la chose la plus terrible qui soit. En fait, le vrai sujet du roman , c'était cela: comment peut-on survivre à une telle passion quand on ne peut plus l'exercer? Pour moi, c'est comme si l'on avait coupé la main de Van Gogh au moment où il était dans la plénitude de son art ou la main d'un grand interprète ne pouvant plus jouer Bach. Aussi comment Beudant peut survivre à sa passion est le sujet de ce roman.  La chute de cheval, c'est le titre de mon premier livre et dans mon cas particulier, la chute de cheval, c'est celle aussi dont on ne se relève jamais. C'est le cas de mon père qui s'est tué d'une chute de cheval en forêt et c'est vrai que, contrairement à mon père, Beudant s'en est relevé, il a continué à vivre et je crois qu'écrire sur Beudant, c'était aussi une façon pour moi de prolonger ce qui est peut-être la scène originelle de tout ce que j'écris, c'est à dire mon père tombant dans la fleur de l'âge- puisqu'il avait quarante cinq ans- d'une chute mortelle. Evidemment que chez moi, la chute de cheval n'a pas le même sens que chez d'autres, sans doute qu'en me mettant à devenir cavalier, j'ai le sentiment de prolonger le galop au cours duquel mon père  a été à tout jamais arrêté.
La chute de cheval est l'origine de tout car elle raconte comment j'ai construit sur ce deuil : j'avais dix-sept ans, mon père quarante L'écuyer mirobolant -interview Jérôme Garcincinq ans,  son cheval s'emballe en forêt de Rambouillet il tombe et il meurt, et évidemment le paradoxe est que pendant un temps fou j'ai repoussé, j'ai fui, j'ai ignoré les chevaux et un jour, longtemps après, j'ai renoué avec eux, j'ai monté et d'une certaine manière j'ai fait la paix avec mon passé et avec cette chute originelle. Donc je ne peux pas répondre à votre question sans évoquer la scène fondatrice de tout ce que j'ai écrit depuis et qui est aussi la raison pour laquelle j'écris, parce que c'est en montant à mon tour à cheval, tardivement - j'avais une trentaine d'années - en comprenant aussi ce qu'avait été la passion de mon père que j'ai commencé - la selle servant de divan - à raconter des choses que peut-être je n'aurais jamais racontées sans le cheval. Il a été l'instrument de ma propre confession. Le cheval m'a permis de libérer des choses que je gardais pour moi ,  j'ai donc à son endroit une gratitude qui va bien au delà de la simple reconnaissance de cavalier, je lui dois le bien finalement.... et le meilleur.


Quelles figures équestres prisez-vous? Le piaffer, le pas espagnol, le trot et galop arrière? Y-en-a-t-il une, mythique, qui reste un fantasme jamais concrétisé?

La figure la plus incroyable, la plus mystérieuse, la plus difficile, c'est le galop arrière. Beaucoup de grand écuyers l'ont pratiqué mais le seul que j'ai vu l'exécuter magnifiquement sur deux chevaux différents, c'est Bartabas. C'est une figure prodigieuse parce qu'au delà de sa difficulté technique, elle renverse toutes les lois de la nature. Galoper, c'est aller devant or là, galoper c'est aller en arrière. Cela me rappelle toujours un mot d'Etienne Beudant dans un de ses traités - et là encore c'est une métaphore de la vie - "il faut pousser en avant même pour faire reculer". La figure du galop arrière demande à avancer au petit galop puis au galop rassemblé puis au galop sur place et ensuite petit à petit en gardant  la même allure, la même assiette du galop sur place, on passe au galop arrière.


Cheval -livre - Arnaud TaeronVos lignes sont sculptées, limées, ciselées, chaque image (- Robersart II " le vitrail d'une basilique de muscles" - "Les arbres avaient la transparence d'un verre filé de Venise" - " Cet étranger empruntant à la fois au militaire à la retraite et au Touareg en exil" ) est un "rêve flottant" de perfection. Ecrire, selon vous, comme monter à cheval nécessite une élégance, des exigences pointues et sévères qui justifient l'utilisation d'un vocabulaire soutenu et d'expressions équestres méconnues du néophyte? Pensez-vous qu'il est bon que la littérature soit un rien inconfortable? Avez-vous un modèle de perfection qui vous semble expliciter au mieux tout le respect que l'on doit aux mots écrits?
L'élégance, je ne sais pas ce que c'est, en revanche je crois profondément qu'il y a un rapport entre l'écriture et l'équitation. Si vous regardez un grand cavalier, quelle que soit la figure qu'il dessine avec son cheval, on se demande toujours comment il fait, la main et la jambe semblent ne pas bouger, il y a un mystère. Le corps ne bouge pas, il semble être dans le cheval et ça, c'est pour moi l'idéal littéraire, c'est à dire que même pour obtenir l'équivalent littéraire d'un piaffer ou d'un galop arrière, il faut que tout le travail ne se voit pas et que l'on ne voit que le résultat. Il faut que l'écrivain puisse donner la même illusion de facilité et que l'on ne voit pas la sueur, le travail, les efforts inouïs que l'on a dépensés pour obtenir cette phrase juste. Quand un cavalier est un bon cavalier, on dit qu'il est juste. Je crois que c'est pareil pour l'écrivain. Moi je n'aime pas ce qui est flottant, j'aime la justesse, l'exactitude, c'est la raison aussi pour laquelle, même si on est un peu un néophyte, je trouve que le vocabulaire équestre est un très beau vocabulaire et que, même s'il n'est pas forcément clair, il a l'avantage d'être précis. J'aime une grammaire sans graisse: certes, parfois il faut utiliser des métaphores pour rendre compréhensible. Beudant, par exemple, pour définir l'impulsion à cheval , disait que "c'est le vent qui souffle dans les voiles du navire", il disait aussi pour l'obéissance à l'éperon que c'est "celle du fils à son père". Donc parfois il faut traduire, évidemment, cela dit je crois que monter bien, c'est monter juste et qu'écrire bien, c'est écrire juste. Et dans les deux cas, c'est épargner au lecteur, comme le grand cavalier épargne au spectateur, tous les efforts que cela lui a couté.


Vous consacrez effectivement de longs passages à une réflexion sur l'écriture: quel est l'enjeu de cette mise en abime?
Cheval -Pierre Gable le désir de formuler un constat qui grossissait dans votre expérience d'auteur?
Parce que c'est dû à ma propre expérience, monter et écrire sont deux verbes qui, chez moi, ont cohabité et, de manière un peu obscure pour moi, aujourd'hui, les deux activités sont indissociablement liées.Je ne peux écrire que quand je monte et je ne peux monter que lorsque j'écris. C'est très étrange et d'ailleurs j'ai écrit de nombreuses pages en partant deux -trois heures avec un cheval: je pense aux mots de Montaigne que j'avais mis en épigraphe de La chute de cheval "c'est à cheval que sont mes plus larges entretiens".Je fais partie de cette famille d'auteurs qui ont besoin que le corps se dépense à une altitude incertaine, entre terre et ciel, pour pouvoir faire travailler le cerveau et avancer le livre. C'est la raison pour laquelle je n'écris jamais à Paris, uniquement à la campagne, quand je suis près de ces chevaux et que je suis dans cet état qui me place un tout petit peu en dehors du monde réel.


Etienne lit beaucoup: y-a-t-il, sciemment, une sorte de croisade pour le livre , une nostalgie intrinsèque dans cet hommage régulier à la lecture et aux grands auteurs? Comme beaucoup, déplorez-vous la chute des ventes en librairie ou pensez-vous que les générations nouvelles se construisent à partir d'autres supports que l'objet livre? Etes-vous optimiste?

Je fais lire beaucoup Beudant; dans la réalité je ne pense pas qu'il ait lu autant. J'ai fait récemment édité et j'ai préfacé la grande anthologie de Paul Morand qui s'appelle Anthologie de la littérature équestre chez Actes Sud qui montre depuis la Renaissance italienne jusqu'au vingtième siècle, les grands artistes du cheval ont toujours été des écrivains qui avaient besoin de transmettre leur savoir et j'avais envie d'inscrire Beudant dans cette histoire-là.
Quant à la chute des ventes en librairie, moi je suis un peu frappé par le contraire. Par mon métier de journaliste, ça fait plus de Cheval - Pierre Gabletrente ans que j'observe l'évolution du livre en France, sa production, son édition, sa distribution . Je remarque d'abord l'incroyable résistance de l'objet-livre malgré tout ce que l'on avait annoncé - il était mort à l'époque où naissait Internet, il serait mort encore aujourd'hui avec l'Ipad et le numérique- pourtant l'objet livre fait une résistance assez phénoménale à tous ces courants soi-disant meurtriers. Evidemment que le numérique va changer les choses et qu'on lira de plus en plus sur écran et de moins en moins sur papier mais je pense que l'imprimé, même s'il reste minoritaire, restera toujours. Le livre, c'est comme l'équitation. Aujourd'hui en 2010, on n'a plus besoin des chevaux : il n'aide plus aux champs, à tracter les moissons, il n'est plus utile en ville, malgré tout il persiste: il y a de plus en plus de cavaliers, d'amoureux des chevaux et de la même manière, le livre résistera toujours. Moi je ne suis pas du tout pessimiste. Et si les générations qui viennent préfèrent lire sur écran que sur papier, moi ça ne me choque pas du tout. Pour autant on aura toujours besoin du rêve que procurent les écrivains. Maintenant, les bestsellers ont toujours existé et la vraie littérature a elle aussi toujours existé et elle n'a jamais été majoritaire. Au delà d'un certain succès, on est dans le malentendu de toutes les manières.


Ce roman peut-il lire se lire comme un plaidoyer pour l'authenticité? une réflexion sur le bonheur? Cherchez-vous à convertir? à prouver que l'équitation, au delà d'être un sport, contribue à un équilibre - " l'autorité sans violence, l'équilibre des forces, l'harmonie du corps et de l'esprit, la patience, l'opiniâtreté, le tact, la justice" - qui explique qu'aujourd'hui le nombre de cavaliers augmente et qu'il y a une recrudescence de l'intérêt porté aux chevaux?

En France, on considère qu'il y a environ 500 000 cavaliers et un million d'équitants: c'est une évolution croissante. Moi je pense - et ce n'est pas original- que l'équitation est une leçon de vie extraordinaire, que c'est une morale, même politique. Apprendre à gouverner une masse de cinq cents, six cents kilos avec de la douceur, avec ce que Beudant appelait "une main insinuante" , apprendre la conduite mais sans violence, sans domination des natures libres et égales, je trouve que c'est un programme formidable. J'y ajoute une donnée à laquelle je tiens beaucoup : l'équitation force - alors qu'on dit souvent que les cavaliers sont fiers - à l'humilité. On ne peut rien contre la force d'un cheval, si on n'est pas humble, on se casse la gueule, il faut accepter que le cheval est plus fort et que pour se faire comprendre de lui, pour devenir son allié, il faut accepter l'humilité.
Pour moi le cheval est un instrument de musique sublime. Mais si je devais trouver de véritables raisons de convertir, je dirais qu'aujourd'hui, de manière tout à fait scientifique, on voit les bienfaits de l'équitation. Les médecins ont inventé l'équithérapie dont on sait combien -aussi bien dans le cas des handicapés moteurs que mentaux - le cheval est un formidable instrument de soin et d'aide. Et puis le cheval, avec peut-être la mer, est encore une des dernières aventures que l'homme peut encore vivre, avec l'illusion d'être aussi bien au XXIème qu'au XVIIIème siècle, aussi bien en France qu'à l'étranger. D'ailleurs ce n'est pas un hasard si le cheval est un langage universel. J'ai beaucoup voyagé, monté un peu partout et je peux vous dire que je parle cheval aussi bien en Tunisie ou au Maroc qu'aux Etats-Unis. C'est quelque chose qui unit les peuples et les cultures sans aucune distinction de classe, c'est quelque chose d'universel et ça, je trouve que c'est une des plus belles choses que l'Histoire ait donné à l'humanité.


CHEVAL_.jpgEtienne Beudant est aussi intègre qu'Hérault de Séchelles est opportuniste. Le premier ne connaîtra pas l'amour, l'autre y aura droit comme un miracle. L'un est au coeur de l'action ,l'autre en est toujours écarté. Diriez-vous que vous aiguisez volontairement les caractères de vos personnages?

Dans les deux cas, il y a un peu de caricature. J'ai fait de Hérault de Séchelles une caricature du cynique car ça m'amusait beaucoup de montrer que la palinodie politique, le fait de changer de veste à chaque tournant  n'est pas l'apanage de nos politiques d'aujourd'hui et que c'était vrai aussi à cette époque. Hérault de Séchelles est capable de passer du roi  au comité de salut public avec un sorte d'indifférence impressionnante. J'ai voulu noircir le trait parce que je trouvais amusant littérairement parlant de me glisser dans cette peau. De la même manière, c'est vrai que je pousse un peu le personnage de Beudant qui était un admirable écuyer - ça , c'est incontestable - mais j'en ai fait une sorte de mystique, d'amoureux d'absolu, d'idéaliste, un pur parmi les purs.
Il y a un véritable lien entre ces deux personnages et ceux de tous mes autres livres qui ne sont pas des romans. Je pense à Gérard Philipe dans Théâtre intime, à Jean Prévost, à mon propre père, tous ont en commun mais ça, on ne le voit pas forcément à l'oeil nu, qu'ils ont eu des vies brèves et arrêtées. Je considère, en effet,  que la vie de Beudant s'arrête quand il descend de cheval pour la dernière fois. Hérault de Séchelles est guillotiné à trente quatre ans, Jean Prévost meurt dans le Vercors les armes à la main à quarante ans et pour des raisons plus personnelles, la mort de mon frère jumeau,  mon père qui se tue de cheval à quarante cinq ans, la mort à l'âge de trente six  ans du père de ma femme, Gérard Philipe, que sans doute, de manière inconsciente , j'ai du mal à faire vieillir les personnages. J'ai toujours le sentiment que j'aime raconter des vies brèves, qu'elles soient réelles ou imaginaires et où j'ai le sentiment que plus elles sont brèves, plus elles sont pleines. Le vrai lien entre mes personnages, c'est cela, c'est un combat contre le temps incessant et la vraie question est: qu'est ce qu'on fait de sa vie? à quoi ça sert? C'est autour de ces questions-là que tournent les obsessions.


Vos personnages sont-ils toujours volages dans l'âme? Est-ce une nécessité pour le héros romanesque ce détachement des femmes? ce besoin de butiner? Est-ce parce qu'il est incompatible de se donner tout entier à  un cheval et à une femme?

C'est vrai que mes personnages sont le portrait d'êtres qui ont tout sacrifié à leur art, à la passion ,à leur engagement politique, à leur foi et que ça se paye. En même temps, on pourrait donner en contrepoint le livre que j'ai écrit qui s'appelle Théâtre intime qui est consacré  à ma propre passion fixe, qui est celle que j'ai pour ma femme, Anne-Marie Philipe, depuis plus de trente ans donc, vous voyez, ce n'est pas aussi simple que ça. Cela dit, c'est vrai que dans le cas de Beudant, j'ai imaginé que cette féroce, ardente, folle et puissante passion du cheval passait par le sacrifice de tout le reste. Il n'y avait pas la place pour une femme aimée et une passion qui occupait tout.


Enfin le magazine, ce mois-ci, ouvre un dossier spécial Amérique : vous évoquez Buffalo Bill dans ce roman et Etienne entretient une correspondance avec Calamity Jane: dans quelle mesure l'Amérique et ses cow-boys fascinent-ils le cavalier que vous êtes?

Bien sûr que ce pays de cavaliers, je dirais même de centaures, me fascine: on ne sait plus, quand on regarde un western, que ce soit côté indien ou cowboy, où s'arrête l'homme et où commence le cheval. Dans le cas de Calamity Jane, j'avais été ému par les lettres que j'avais lues d'elle, j'ai donc greffé de manière naturelle et en même temps un peu artificielle une correspondance entre Beudant et elle, qui est totalement imaginaire. C'est un pays où le cheval est roi, un pays d'immenses étendues dont je persiste à penser qu'elles ne sont vraiment explorables qu'à cheval. Il y a d'ailleurs un bouquin formidable dont on parle rarement qui exprime un peu ce que je vous dis là  et qui se nomme Autobiographie d'un cheval de John Hawkes dans lequel il parlait à la place d'un cheval, à la première personne du singulier. Et s'il le faisait si bien, je pense que c'est parce que John Hawkes appartient à ce pays, à ce peuple où l'homme se confond avec le cheval.


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16 juillet 2010 5 16 /07 /juillet /2010 08:05

 

- Directeur artistique du Théâtre des Mots Dits, metteur en scène, comédien, vous êtes d'abord un homme de théâtre ? Quel type de théâtre vous attire ? Pourquoi ne pas avoir écrit une pièce plutôt qu'une narration ?
- J'ai fondé le Théâtre des Mots Dits en 2003 car je voulais raconter mes propres histoires ;  écrire le monde d’aujourd’hui en inventant des histoires et des formes, faire le lien entre l’intime et le public, entre la solitude et la communauté. J'ai donc très vite orienté mon travail vers l'écriture scénique en privilégiant les écritures nouvelles, contemporaines. Mon théâtre est toujours plus ou moins une variation sur l’absence. Plus ou moins, car mes pièces embrassent aussi le champ de thèmes fondateurs, comme la mort, l’identité, la guerre, la violence… J'ai toujours abordé des sujets difficiles, difficiles parce qu'ils caractérisent avant tout le rapport que nous entretenons avec nous même et avec la société dans laquelle nous vivons et je pense que cette relation n'est pas simple, à en juger par l'actualité. Pourtant, le traitement peut s'avérer bien différent. Quelquefois avec légèreté et humour, parfois avec gravité et violence, le plus souvent avec innocence parce que ces sujets sont suffisamment éloignés de moi – de ma vie – pour que je puisse y apporter mon propre regard, ma propre sensibilité. Que ce soit la barbarie nazie, la pauvreté, l’exploitation de la misère, la mort : de pièce en pièce, de mise en scène en mise en scène, je souhaite aller tranquillement, creusant là où cela fait mal, pour nous apprendre, peut-être, à prendre mieux soin de nous et ainsi nous faire toucher du doigt nos consciences assoupies ou bien comme dans J'ai trouvé une pelle pour enterrer ma poupée (Texte publié en 2009 aux éditions ALNA) les contours de nos propres souffrances, celles déjà vécues, celles à venir. Mais sans gratuité, car le théâtre qui émeut n’est pas auto-complaisant. Rencontrer ses souffrances et les connaître parce qu’elles sont vécues par d’autres, sur scène, dans la lumière, peut aider, doit aider à reconnaître l’universel, ce à quoi on ne peut échapper mais aussi ce vers quoi on ne doit pas se tourner. On peut tous cheminer aux côtés de mes personnages puisque qu'ils sont finalement ordinaires. On peut se reconnaître en eux même s'ils semblent différent de nous. Ils pourraient être nous. Et cette fois-ci pour ce projet jeunesse, j'ai souhaité écrire un conte plutôt qu'une pièce de théâtre. Me confronter à une nouvelle forme d'écriture afin d'expérimenter d'autres horizons. Je voulais faire de cette histoire, une fable qui ne se limite pas à être jouée mais qui puisse être lue, racontée, vécue par le plus grand nombre. Quoi de mieux qu'écrire un conte pour farder une réalité historique et sociale dont l’horreur ne peut que glacer en nous toute envie de récit ? Et puis finalement, je ne me suis pas trop éloigné de mon travail, bien au contraire, j'ai juste tenté de créer une passerelle entre le livre jeunesse et la scène, d'en donner une autre dimension, plus "vivante". J'ai ainsi pu créer la monstrueuse histoire... en spectacle de marionnettes pour jeune public que j'ai présenté à l'occasion du Festival Mondial des Théâtres des Marionnettes à Charleville-Mézières (Capitale Mondiale de la Marionnette) en septembre 2009.
- Pourquoi avoir choisi d'écrire pour les enfants? Est-ce un univers qui vous fascine davantage que celui des adultes?
Fabrice Backes- L'enfance est un monde fantastique. Dans tous mes spectacles, l'enfant est présent. Peu importe la forme qu'il prend. Lorsque j'ai commencé à écrire « La monstrueuse histoire d'un petit garçon moche et d'une petite fille vraiment très laide », je ne savais pas vraiment à qui je m'adressais. A vrai dire, j'avais toujours écrit pour les adultes et jamais encore pour les enfants. Cette fois-ci je voulais m'adresser à eux. Plus j'avançais dans l'écriture, et plus mon écriture s'adaptait aux enfants. D'ailleurs, j'ai souhaité que mon personnage central soit un enfant. L'enfant était l'un des interprètes rêvés. Parce qu'il est lui-même “une perception troublée de la réalité”, et parce qu'il sent et perçoit intuitivement le non sens : la non-évidence des événements tragiques, la fragilité des choses et du monde, l'inconpréhension d'un quotidien demesurée, déformée. Comme des êtres non corrompus par un monde hostile et violent, les enfants sont peut-être, dans notre imaginaire, des représentants d'une innocence perdue. Sans défense, non préparés aux misères et chargés d'insoussiance, ils nous font voir l'inoffensif. Mais cette innocence n'est pas pure, elle se mélange de tout ce qui, adulte, continue de nous hanter, nous poursuivre : nos angoisses, nos peurs, nos cauchemars. Et puis, à force de parler de l'enfance, je voulais m'adresser aux enfants eux-mêmes et aussi à celui qui sommeille en chacun de nous.
- Les thèmes en présence ne nécessitent-ils pas le recul et la sensibilité d'un lecteur adulte?
- Bien évidemment. Cette histoire est une histoire pour enfant même si je pense qu'il faille accompagner certains enfants, les plus jeunes notamment, à travers la lecture de quelques passages (le cauchemar par exemple est une scène qui peut se révéler surprenante pour les plus jeunes, alors qu'au final, on apprend que ce n'était rien, juste une vision déformée de la réalité.) Faut-il encore que les enfants passent le cap de lire ce passage (rires). D'autres passages cachent une autre vérité, plus sombre et plus cruelle. Mais cette vérité n'est perceptible que pour les adultes. D'où l'intérêt d'écrire aussi à travers cette histoire, une autre histoire en filigrane. Laisser une couche d'obscurité se mêler à l'histoire pour enfants. Et puis peut-être que finalement cette histoire n'était que le prétexte de réveiller l'enfant qui se terrait dans le noir, au profond de nous, le provoquer afin qu'il libère sa part de souvenirs... les souvenirs les plus terrorisants de l'enfance : les cauchemars, la peur du noir...
Ludovic Huart- Cette monstrueuse histoire est-elle née d'un cauchemar? A-t-elle surgi au souvenir de quelque armoire dont l'ombre, enfant, vous terrifiait la nuit?
- Enfant, j'avais très peur du noir. Comme beaucoup, je pensais que de nombreux monstres se terraient sous mon lit ou dans de mon armoire. Toutefois avant de me coucher, j'affrontais cette obscurité féroce en ouvrant brusquement la porte de l'armoire ou en m'aplatissant violemment sur le sol pour surprendre ceux qui s'y trouvaient. J'avais besoin de provoquer mes propres peurs, de les dompter, afin peut-être de mieux les appréhender. Elles se manifestaient surtout à travers ma solitude, lorsque j'étais seul, plongé dans le noir. C'est fou comme le monde extérieur peut paraître aussi sombre. On a l'impression de tomber – comme Alice – dans un énorme trou. Pour cette histoire, il m'a donc fallu faire renaître certains cauchemars oubliés... lorsque je commence à écrire une histoire, très vite, j'en rêve. Je rêve de mes personnages, je cohabite avec eux. J'apprends à les connaître et à mieux les cerner. Ainsi dans l'écriture, c'est plus facile de savoir ce que je peux me permettre avec eux, et savoir quelles sont leurs limites. Ce sont finalement des personnages fragiles et mon rôle est d'en prendre soin. Pour leur donner vie j'ai souhaité faire appel à Fabrice Backes, illustrateur, qui a beaucoup dessiné de portraits. Son travail est subtil, fin et délicat. Le regard de ses personnages nous interpelle, parce qu'il ne livre pas le mal ni les secrets qui les hantent. Il donne de l'importance et de la beauté à des personnages intimes qui n'en ont socialement pas. Alors, pour « La monstrueuse histoire », le travail de Fabrice a été une véritable évidence.
- Est-ce un album qui prône la tolérance? ou bien est-il un pansement rassurant pour les laissés-pour-compte?
- Je n'aime pas les histoires qui donne des leçons de morale même si mon histoire (comme la plupart des histoires pour enfant) peut laisser penser le contraire. D'ailleurs, c'est aussi notre rôle, en tant qu'auteur, de défendre certains sujets importants. C'est d'autant plus important parce qu'on s'adresse à des enfants, au citoyen de demain. Mon histoire traite de la différence, de la laideur, de l'apparence. Du monstre. L'enfant laid – en surface - que l'on a été ; l'enfant monstrueux que l'on est devenu à cause de notre jugement et de celui des médias – souvent trop réducteur. Cette histoire apporte donc un autre regard sur le monde, sur l'autre, afin, je l'espère, de nous apprendre à mieux nous connaître, nous. Personnellement, je me reconnais assez au travers du personnage de Lulu, mais je n'irai pas jusqu'à dire que c'est une œuvre autobiographique (rires)
- Diriez-vous que vous êtes attiré par les histoires sombres et que vous avez un penchant  burtonien décalé ou ce récit est un hasard de votre imagination?
- Cette histoire est tout sauf un hasard. Elle s'inscrit véritablement dans une démarche artistique et personnelle de longue date. Depuis mon plus jeune âge je suis attiré par les films d'épouvante, les dessins animés monstrueux, macabres... je déteste les histoires sucrées servies avec un tas de guimauve dégoulinante. Et bien sûr que dans toute cette collection d'affreuses bestioles se Ludovic Huartcachent aussi celles de Tim Burton. Je ne souhaite pas pour autant que l'on m'associe à son travail car même si l'on peut y trouver des ressemblances, des résonances, il est toujours maladroit d'associer le travail de quelqu'un à un autre, dont la notoriété est forcément démesurée. Maintenant ce serait mentir de dire que je n'ai pas conscience de ce penchant, bien au contraire, mais je ne le revendique pas. Lorsque j'étais jeune, j'ai été fasciné par l'Étrange noël de Mister Jack, plus tard par celui des Noces funèbres... Je me suis senti proche de cet univers, autant que celui des films comme Elephant Man, Freaks, Freddy... plus tard j'ai fait des études de théâtre et mes lectures se sont orientées vers des textes contemporains, noirs et violents comme ceux d'Edward Bond, de Sarah Kane ou de Lars Norén. Très vite, je me suis dit que c'était possible de faire comme eux, d'écrire des choses inimaginables.
- A quelles difficultés s'affrontent un jeune auteur? La concurrence est-elle rude dans le monde de l'édition jeunesse? Quels critères sont généralement, selon vous, garants d'acceptation dans une maison phare?
- La plus grande difficulté est de se voir publier quand on écrit ces histoires là. Ça ne fait pas vendre, ça file le cafard. De plus, à en écouter certaines maisons d'édition, les histoires cruelles, sombres et macabres sont difficilement – semble-t-il –  compatibles avec les livres jeunesse. Ce qui est faux. C'est juste un argument commercial qui tente à dire que ces histoires-là ne marcheront pas, que les livres ne se vendront pas. On peut par exemple citer les contes d'Andersen, de Perrault, Grimm qui ne se privent pas de raconter des histoires atroces. L'une des versions orales du conte du Petit Chaperon rouge raconte que le Loup, arrivé chez la Mère-grand, la dévore en en gardant toutefois un peu de côté, et prend sa place. La petite-fille arrive et, ne se doutant de rien, obéit à la fausse grand-mère lui disant  manger un peu de viande et de boire du vin qui  sont en fait la chair et le sang de l'aïeule. Et ça n'a jamais traumatisé personne (peut-être parce que cela a été censuré à l'époque - rires). Aujourd'hui, cela paraît compliqué de prendre autant de risques parce que l'édition se livre une véritable bataille économique. Être publié est une chose, survivre à la concurrence en est une autre. D'où l'importance d'imposer très vite son style et de l'assumer. Je comprends que ce soit plus facile de digérer des histoires drôles, mais moi, personnellement, j'ai faible appétit. J'ai décidé de prendre un autre chemin, plus tortueux sans doute, mais d'assumer toutes mes histoires. Je me suis donc rendu compte que ce n'était pas si facile que ça de s'imposer lorsque l'on décide de défendre des textes comme les miens, mais ça valait la peine de se battre.  Aujourd'hui, c'est devenu une marque de fabrique que j'aime cultiver et les éditions Des ronds dans l'O contribuent à cette reconnaissance. En acceptant d'être publié chez Des ronds dans l'O, je savais que cette maison d'édition ne se limiterait pas à publier mon livre, mais qu'elle le défendrait, qu'elle se battrait pour qu'il trouve lui aussi sa place chez les librairies et dans le cœur des lecteurs. Et c'est le cas.
- Vous avez donc  publié chez "Des ronds dans l'O": dans quelle mesure rentrez-vous dans la ligne éditoriale de cette jeune maison d'édition?
- Il n'y a pas vraiment de ligne éditoriale, mais plutôt un acte d'engagement, défendre des thèmes fondateurs, singuliers, graves... Des ronds dans l'O est connu pour publier avant tout de la bande dessinée. Lorsque Marie Moinard (fondatrice de la maison d'édition) m'a appelé pour m'annoncer que mon projet était retenu, elle m'a fait savoir que la jeunesse était quelque chose qui était en « stand by » chez elle depuis quelques années mais qu'elle souhaitait vraiment redémarrer cette collection. J'ai donc accepté et ai renoncé à d'autres contrats qui pouvaient paraître plus alléchants. Dans l'écriture, je me projette toujours en avant et envisage l'avenir en pensant à ce que je ferai après. Chez des Ronds dans l'O par exemple, Marie Moinard et son équipe sont très attentifs aux projets des jeunes auteurs. Marie Moinard a fait de sa maison d'édition une structure engagée, qui prend des risques. On parle déjà ensemble de mon futur livre avant même de savoir si le premier sera un succès. Comme me la fait savoir Marie Moinard, c'est le devoir d'une maison d'édition  - notamment comme la sienne - d'accompagner un jeune auteur et lui permettre de publier un second livre. D'ailleurs, c'est avec le temps que l'on mesurera le succès (ou pas) de ce livre. Il faut du temps pour fidéliser le lecteur. Pour ma part, je pense que Des ronds dans l'O a tout le talent d'une grande maison d'édition, à voir la qualité de mon livre. Je ne parle pas du contenu, je parle de la forme, du livre en lui-même. C'est un projet réussi !
Ludovic Huart - portrait- N'êtes vous pas tenté d'illustrer vos propres textes et de faire cavalier seul?
- Effectivement, c'est une idée que je muris depuis quelques mois déjà. A l'origine, je voulais faire des études en arts plastiques, mais j'ai désiré modifier mon parcours - comme vous le savez - en choisissant l'art dramatique. J'ai ainsi mis de côté le dessin, sachant que j'y reviendrai un jour et lorsque j'ai commencé à m'intéresser à la marionnette, je me suis rendu compte qu'il fallait me remettre au travail et donc affuter mes crayons et recommencer à griffonner un peu partout. Ce qui demande donc beaucoup plus de temps. Ecrire est pour moi un travail à plein temps en plus de gérer le Théâtre des Mots Dits. Illustrer mon texte me paraissait à la fois maladroit puisque l'intérêt de collaborer avec quelqu'un d'extérieur était d'apporter un regard neuf sur mon univers, d'être complémentaire. C'était le cas avec Fabrice Backes et ça a très bien fonctionné. Je pense que nous sommes "un couple artistique" qui fonctionne bien. Pour ce nouveau projet, c'est différent. J'ai plus de temps et les personnes qui financent mes projets ont souhaité me donner les moyens nécessaires pour être totalement disponible. Je ne promets rien pour le moment, je dois me décider dans les semaines à venir. Plusieurs illustrateurs m'ont sollicité pour travailler avec moi. Je ne sais pas vraiment. A vrai dire, c'est très tentant de faire cavalier seul... mais très périlleux aussi.
- Enfin, quels projets en cours? Après des enfants très très laids, allez-vous parler d'anges?

- Comme je l'ai dit, j'aime me projeter en avant afin d'imaginer ce que je ferai demain. Après « La monstrueuse histoire... » le public m'attend sans doute au tournant. Je ne dois pas décevoir ceux qui ont aimé ce livre et je dois tenter de séduire les plus fâchés (rires). Sérieusement, je travaille actuellement sur un autre projet jeunesse qui s'adresse à un public un peu plus grand, genre 10-12 ans. Donc un projet un peu plus ambitieux. Ce sera un livre différent mais l'univers sera le même, bien sûr ! Pire encore, je pense que l'histoire sera encore plus cruelle. Il sera question d'un Loup en peluche et d'un tas de morceaux de charbon qui ressemblent à du chocolat... mais pour cette nouvelle histoire, même si j'ai déjà dévoilé certains secrets via mon site internet et mis l'O à la bouche à certains lecteurs, je préfère en garder très précieusement le mystère. Un peu de patience, le livre sera dans les bacs début 2011, si tout se passe comme prévu. A cette occasion, j'ai obtenu une bourse littéraire de la part du Conseil Régional de Champagne-Ardenne (ORCCA) et je viens d'être sélectionné par la communauté d'agglomération de la Vallée de l'Hérault en vue d'une résidence d'auteur à Gignac du 15 octobre au 15 janvier 2011 avec une bourse à la clé. Enfin, il est question de deux expositions à Paris, la première chez MK2 à la rentrée de septembre dans le cadre d'un projet avec la galerie d'art ARLUDIK ; la deuxième, du 10 novembre au 5 décembre 2010 à la galerie L'ART DE RIEN. En décembre, il y aura aussi une exposition à la vitrine culturelle du Conseil Général à Charleville-Mézières dans le cadre d'une CARTE BLANCHE proposée par l'Institut International de la Marionnette. Enfin, en janvier, je reviendrai dans les Ardennes où je vis pour adapter à la scène ma nouvelle histoire qui sera créée en avant-première le 14 avril 2011 au Théâtre de Charleville-Mézières. Ce spectacle alliant théâtre et marionnette sera présenté au Festival d'Avignon 2011 avant d'être à nouveau présenté à l'occasion du Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes en septembre 2011... autant d'occasions donc de rencontrer le public et de lui faire partager cette nouvelle et épouvantable histoire. Au fait, le prochain livre a déjà un titre, il s'agira de LA FUNESTE NUIT D'UN LOUP EN PELUCHE QUI NE DEVAIT PLUS MURMURER A L'OREILLE DES ENFANTS...
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Décalée par Julie

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