Oui ! Plein de projets… Je vais me plonger dans le journal que j’ai écrit pendant les neuf mois de ma dernière grossesse. Un texte intime et réaliste que j’espère publier cette année. Je vais me lancer dans un nouveau roman - j’ai envie d’écrire une histoire d’amour. Je vais aussi poursuivre l’écriture d’une série télé que j’ai imaginée avec un ami écrivain. J’aimerais enfin organiser cet automne des ateliers d’écriture en prison, autour de la question de la nudité. Quant à l’adaptation au cinéma d’un de mes romans, je voudrais écrire le script du Joli mois de mai… mais les journées manquent d’heures…
C'est ainsi que vous écrivez " l'écriture est un fil plus solide que la vie" , ces deux livres sont un moyen de maintenir un lien.
Exactement.
Réfléchir sur les liens avec vos pères a entraîné une réflexion sur votre propre statut de père...
Je ne sais pas trop quoi rajouter à cela. Oui, c'est assez juste ce que vous dîtes.
Enfin, avez-vous des ouvrages que vous avez remarqué en cette rentrée littéraire?
Et pour vous, un roman en cours? en projet?
Une touche d'érotisme qui cible un public féminin?
Vos chutes sont espiègles et drôles : souhaitiez-vous ajouter à l'érotisme la note humoristique qui lui manque souvent?
Pourquoi avoir opté pour la rondeur? Est-ce que les formes siéent davantage à votre trait ou est-ce une volonté de s'opposer au cliché idéal de la femme mince?
Vous vous adonnez aussi au film d'animation...
Dans Zombillénium, il y a un fil directeur, une continuité narrative que l'on ne trouvait pas dans Péchés mignons...
Spirou et Fluide Glacial ne posent pas les mêmes contraintes?
D'où est né Zombillénium et ses zombies? Est-ce parce que vous étiez las de brosser le quotidien?
... plus pudique?
Des albums en préparation?
Après avoir peint les déboires des célibataires, le projet de caricaturer ceux des couples?
Pour finir, quelles références picturales et humoristiques ont influencé le trait d'Arthur de Pins?
Au niveau de l'humour, il est compliqué de citer quelqu'un de précis. Dans les années 90, je lisais beaucoup l'Echo des savanes, j'ai beaucoup lu notamment Martin Veyron ou la Bd Max et Nina dont j'ai déjà parlé.
Par Julie Cadilhac - Bscnews.fr / Interview de Jorge Gonzalez - Traduction : Mar Arregui-Oto Bresson.
On y trouve des passages profondément poétiques et philosophiques: sont-ce des genres auxquels vous vous adonnez régulièrement ? Diriez-vous que le dessin et la poésie ont de nombreux points communs dont, notamment, la nécessité de brièveté ?
(1) « porteño : habitant de Buenos Aires »
Interview de Seb Cazes par Julie Cadilhac - Bscnews.fr / Illustrations Seb Cazes
Bonjour Seb Cazes, vous êtes illustrateur et créateur de films d'animation: comment sont nées ces deux aspirations artistiques?
Bonjour bonjour, j'ai en effet plusieurs casquettes. Dessiner a toujours fait partie de mon quotidien, très jeune je voulais être dessinateur de BD, je faisais d'ailleurs pas mal de planches et ça a perduré jusqu'à mon entrée aux beaux-arts d'Angoulême. Ensuite j'ai eu envie d'élargir mon champ d'action et ne pas me cantonner à la vignette, je me suis donc orienté tout à fait naturellement vers l'illustration au sens large, vers le graphisme. Je me sentais moins libre à prétendre faire de la BD à temps plein, et justement, la notion de liberté dans le trait ou dans la vie en général est ce que je recherche en permanence.Quand j'ai commencé à animer quelques dessins, à faire des petits essais 2D,
ça faisait déjà des années que je m'intéressais au film d'animation et au court métrage,j'avais beaucoup de références en tête qui m’intéressaient vraiment. Il suffisait juste de se lancer, passée la frontière technique. Tout est venu naturellement. Je me force rarement, j'ai au contraire envie d'éprouver du plaisir et de la passion dans ce que j'entreprends. Pendant quelques années, le festival national d'animation organisé par l'AFCA ( association française du cinéma d’animation) a décidé de se baserà Auch, ça a donc été un élan supplémentaire pour moi et c'était chouette de rencontrer des gens de partout dans ma ville, de participer à des stages, de découvrir de nouveaux films etc...
Affirmeriez-vous que tout illustrateur a des éléments obsessionnels , des univers de couleurs qu'il utilise plus souvent que les autres? Quels sont les vôtres?
Chacun est marqué consciemment ou non par quelque chose, des éléments du passé,des styles de décors, de paysages, ou d'une façon d'être vis-à-vis de l'autre, de genres
de couleurs, de lumière.La création part d'abord d’un élan inconscient qui sert de déclencheur à toute oeuvre. On pourra passer des heures à expliquer le concept et philosopher sur une oeuvre, il y aura toujours une part d'inconscient en elle. Effectivement des éléments obsessionnels peuvent découler de là: je me suis rendu compte qu'à une époque je travaillais beaucoup dans les tons chauds, surtout des ocres/ rouges/jaunes etc. sans prendre le recul nécessaire : mes clients me faisaient la remarque que je ne variais pas assez. J'aime travailler de cette façon et je ne cherche pas à l'expliquer mais maintenant j'aime autant bosser sur n'importe quelle base de couleurs, en noir et blanc, je n'ai ni barrière ni à priori, ça permet justement d'abord de varier, ensuite de mieux revenir à ma "base", avec plus de plaisir et d'authenticité.
Après, je ne peux pas parler de façon générale, mais il est plus facile de deviner les codes couleurs chez certains (les couleurs "feu" de Mc Kean par exemple, qui sont autant présentes dans ses illustrations persos que commerciales , les couleurs complémentaires dans les films de Jean-Pierre Jeunet etc) quand on ne se pose même pas la question chez d'autres. De toute façon, tout dépend toujours de l'idée de départ, qui 99% du temps donne le ton.
De quoi se nourrit votre trait? Avez-vous des mentors en matière d'illustrateur? de photographe? de réalisateur?
Le dessin, c'est 24h/24 qu'il se nourrit. Un dessin découle d'une observation faite dans le train à la va-vite, en scrutant un visage à la télévision, en se remémorant un rêve de la nuit précédente... sans compter le fait que je me pose souvent pour dessiner quelque chose que je vois, un décor qui me plait, une attitude etc. Je suis toujours avec un carnet de croquis sur moi depuis 15 ans. J'ai besoin de recherches sur la matière, besoin d'ouvrir de nouvelles voies personnelles et quand je m'épuise sur quelque chose, j'essaye d'ouvrir une autre brèche, pour varier mon trait, en dessinant de l'autre main, ou sans regarder etc.Le genre de spontanéité qu'on perd dès qu'on passe à l'âge adulte en somme,la liberté du trait qu'on ne réfléchit pas à entretenir étant enfant.Le tout est de toujours essayer de se sentir libre dans ce qu'on fait. j'adore aussi regarder le travail des autres mais si c'est pour se dire qu'on fait la même chose, c'est pas la peine. Le milieu de l'illustration fonctionne pas mal par "modes", je n'ai jamais cherché à être à la mode, ça m'a sûrement fermé plein de portes, mais au moins je me sens libre dans ce que je fais, intègre,et je ne me pose pas la question de savoir si dans 5 ou 10 ans ce que je fais maintenant sera complètement à côté de la plaque. Je fonctionne plutôt dans le mode inverse, c'est à dire que j'ai besoin d'être sûr de ce que je fais (et ce même si le processus de création inclut des « accidents » et des doutes dans la conception de l‘image finale) avant de soumettre telle ou telle proposition de commande à un client, car même si le style ne lui plaira pas forcément, je pourrai défendre le projet sans laisser place au hasard, et ça vaut mieux de défendre l'histoire et la philosophie d'une illus avec ses tripes et sa tête plutôt qu'en se renfermant derrière l’excuse qu’on appartient à une vague d'illustrateurs/tricesà laquelle on peut se conforter pour parler de soi, juste parce qu‘ils-elles marchent bien. Des fois je vois une illus et je pourrais l’attribuer à 10 personnes tellement certain-e-s font la même chose, je trouve ça très dommage, même si on a besoin de stimulation et puis si être un-e illustrateur/trice aujourd'hui consiste à créer le buzz sur des sites communautaires ou à harceler des éditeurs et agents d'illustrateurs, tout en abreuvant un blog, alors je dois être à côté de la plaque car je ne sais pas faire. Je préfère franchement me sentir libre et cette liberté est la nourriture de base de mon trait. Je n'ai pas envie d'avoir un blog simplement parce qu'il y en a déjà des millions et qu'on est pas le centre de la terre et que ça demande un travail d'alimentation quotidien et je n'ai pas envie de me sentir prisonnier de ça....et je n'ai pas non plus besoin de prendre de drogues pour être plus farfelu. Quand je ne suis plus inspiré, j'aime revenir aux sources, regarder les livres de mes "guides" ou "mentors" comme Fred, Roland Topor, de Crécy, Alberto Breccia etc, depuis l'adolescence une super passion, ou j'aime regarder les boulots de gens que j'ai découvert plus récemment, ces dernières années, comme Paul Madonna,David Hughes, Lars Henkel, Jochen Gerner, Chloé Poizat... j'aime leur liberté de ton et de trait, leur univers singulier, le fait qu‘ils me poussent à aller de l‘avant...La video est ultra importante aussi, en terme de cinéma j'ai été énormément marqué par les films de Jan Svankmajer, qui combinent à la fois la technique de l'animation, la recherche constante de la matière, la peinture avec les oeuvres de sa femme Eva dedans, et au sujet de l'absurde et du surréalisme, et donc de l'inconscient. Ce couple est un vrai couple d'artistes et l'exposition à Annecy en 2002 à l'occasion du festival d'animation était une des expos les plus impressionnantes et hallucinantes qu'il m'ait été donné de voir ! En animation pure j'ai été énormément marqué par les films de Paul Driessen, Mickaël Dudok de Wit, Wendy Tilby, et surtout Gianluigi Toccafondo. Enfin, j'aime les photos de Sarah Moon mais j'aime surtout découvrir de "petits" photographes sur des festivals ou partout sur internet au hasard, j'aime les polaroïds, les lomos, tout ce qui donne une ambiance réelle et plus bizarre à la matière photographique.
Vous semblez cultiver l'imaginaire dans vos personnages alors que vos décors urbains penchent vers plus de réalisme: je me trompe? Et pourquoi?
Je ne me pose pas la question comme ça, l'illustration devant être un ensemble.Peut-être avez-vous noté que je m'inspire énormément des lieux dans lesquels je voyage : à chaque fois que je vais quelque part, je remplis un carnet de voyage, de collages, de souvenirs écrits, de tickets de caisse, de photos, et bien sûr de dessins, aquarelles.Mes illustrations se nourrissent aussi de ce que j'ai vu ailleurs, par exemple dans ma BD, "le dresseur de chevreuils ambidextres", la ville est un mélange de San Francisco, de Toronto, de Paris... le côté réaliste découle de là je suppose, même si je ne cherche pas à respecter la perspective au maximum...disons que les éléments de décors urbains sont très réalistes, la façon de les agencer l'est moins, j'aime tordre mes décors aussi, en même temps que mes personnages... mais là non plus la question ne se pose pas comme ça. Je n'ai pas de règles prédéfinies, je veux juste sentir que je suis libre dans ce que je fais,en tout cas dans mes boulots persos, et pour un travail de commande, ça ne pose aucun problème de m'adapter à autre chose, bien au contraire. L'accumulation d'expériences enrichissantes permet aussi de voir plus loin, d'avoir plus de recul. Sur le fond, j'aime mélanger mes expériences quotidiennes absurdes, avec certains éléments de mes rêves et certains textes écrits de façon"automatique", afin de créer un univers singulier, qui oscille entre rêve et réalité, sans trop savoir où en est la réelle frontière. Tout se mélange et tout pourrait être crédible sans vraiment l'être en même temps. C'est cette confusion qui m'attire, c'est de là que je fais naître mon imaginaire. D'une façon générale,j'aime créer des univers plutôt poétiques et absurdes, pour le milieu culturel par exemple, qui deviennent un peu plus "trash" dès que je suis sur un projet perso. L'imaginaire découle du fait qu'une action poétique part d'un paysage concret.
Je n'aime pas trop être terre-à-terre, mais ce n'est pas non plus une "recette" de travail. Je n'ai pas de formule, je pars de zéro systématiquement.
Sur votre myspace, on découvre une série de crayonnés où vous déclinez une rue, des immeubles ou une vieille bagnole...qu'est-ce que vous aimez particulièrement dessiner dans un paysage citadin? Pourquoi?
Je suis curieux et j'aime aller partout. je suis attiré par la matière, un vieux mur dégradé que je prends volontiers en photo, une façade d'immeuble surchargée. Au début je ne voulais pas trop dévoiler de croquis. Ce sont des croquis et ça n'a pas grand intérêt mais je me suis rendu compte de l'importance que prenait cette habitude de remplir des carnets au quotidien, ça fait partie du processus de création et c'est la base de toute idée et tout projet. Je crois que j'aime dessiner à peu près tout. Les immeublesplus lisses ne m'intéressent pas, mais ils peuvent devenir intéressants suivant un certain agencement absurde qu'ils pourraient prendre si on pouvait soudainement les voir du 15ème étage par exemple. L'acte de dessiner tout et n'importe quoi n'est rien d'autre qu'une prise de recul par rapport aux choses, et ce qui m'intéresse c'est de capter cet élan de motivation, ce feeling qui fait qu'on va vouloir dessiner ci ou ça, même si ça n'aura jamais aucun intérêt dans un futur projet, ça a au moins le mérite de contribuer à
la pratique du dessin, ainsi qu'à continuer la série de carnets de croquis, dont l'accumulation et la collection constituent une oeuvre en soi. Alors ,oui ,c'est quand même plus excitant de dessiner une vieille DS qu'une 205,c'est plus excitant d'être face à un appartement vintage ou rococo que d'un meublé ikea, ça dépend forcément du sujet, mais en ce qui me concerne c'est évidemment bien mieux quand il y a du détail et de la matière, et surtout, de l'accumulation. L'accumulation est un sujet sur lequel je travaille depuis les beaux-arts, qui jusque-là était inconscient. Dans le côté urbain, je me souviens des centaines d'antennes télé sur les toits de Lisbonne, (ou de Nice d'ailleurs),des longues cheminées un peu partout en Angleterre, des murs complètement dégradés à St Petersbourg sur des kilomètres, c'est ce genre de détails qui m'attire et me motive.
Une fois j'ai passé une après-midi à traverser Paris dans un axe sud-nord, en m'arrêtant à des terrasses de café juste pour pouvoir dessiner des perspectives et des façades
sympas. Bon, à la fin de l'après-midi, j'étais un peu éméché et mon trait n'était plus vraiment le même, mais au moins j'avais pris le temps de lever la tête !
Parlons d'animation maintenant: quelles techniques avez-vous employé pour le festival Circa? et pour Kensington? Insult to Injury était une commande d'un groupe musical?
La bande annonce du festival Circa est mon dernier film d'animation en date, et il s'agit d'un film de commande, alors que la plupart de mes films sont des projets personnels.
Il fallait donc que je travaille plus vite je me suis donc concentré sur une seule technique qui est la 2D (dessin animé traditionnel, la technique qui me "parle" le plus).
Ma motivation pour ce film était de créer cette ambiance de transition qui existe entre le moment où l’on rentre dans la salle ou le chapiteau, et le moment où le spectacle
commence. Ce sont des instants qui me marquent à chaque fois dans tous les festivals que je fréquente et je voulais participer aussi à ça dans l’inconscient du spectateur.
Kensington est une sorte de carnet de voyage filmé, c'est donc une autre manière de faire car le film combine un peu de travail en 2D avec beaucoup de rotoscopie : en effet, ayant beaucoup filmé au Canada, j'ai repris pas mal de séquences en image par image pour les repeindre une par une: c'est une technique très longue mais il y a pire, et le résultat, toujours plein de matière, est toujours très attirant. Je voulais garder cette trace de film video dans l'animation, car le but du film était de parler de ce quartier de Toronto pour lequel je suis vraiment tombé amoureux. Outre l'aspect video, il y a aussi l'aspect son pris dans la rue là-bas, qui est authentique. Insult to Injury est mon tout premier film et a déjà quelques années derrière lui. Je l'ai fait en 2002 et il a pas mal tourné dans des gros festivals,comme Annecy, Oberhausen, Séoul, Ottawa...
Ce n'était pas du tout un film de commande ni un "clip",j'ai juste contacté le groupe, "the Butchies", pour avoir l'autorisation de bosser sur une de leurs chansons. Je voulais combiner l'intérêt que j'avais pour ce groupe avec les idées engagées que celui-ci véhicule au travers de ses chansons, à savoir en majorité, des textes contre l'homophobie: ça m'a permis de vraiment faire un film cobaye (car j'ai utilisé plusieurs techniques, comme la pixillation, la rotoscopie, la 2D etc) au niveau de l'animation, tout en parlant d'un sujet engagé, tel que le sexisme. Plus généralement, mes films parlent plutôt d'écologie et de connerie humaine, comme dans "la nuit tous les chats sont morts" par exemple.
Vous travaillez pour les circuits-circa: en quoi votre univers pictural s'adapte-t-il bien, selon vous, l'univers du cirque?
Circuits est une saison culturelle échelonnée sur un an, Circa un festival de cirque actuel ponctuel qui a lieu une fois par an. L'univers pictural que je crée pour eux se doit
avant tout d'être un univers qui parle au milieu culturel. Comme "milieu culturel" ne veut finalement pas dire grand chose, je suis assez libre de créer sur ces 2 affiches.
J'essaye donc de développer un univers poétique et surréaliste, car le visuel de circuits se doit d'englober tout ce que peut contenir une saison culturelle : danse, théâtre, cirque. Le visuel circa n'est pas si différent à traiter car le cirque actuel contient toutes ces disciplines. Je ne peux pas dire que mon univers s'adapte bien ou pas au cirque.
Je propose des idées de visuel mais on s'oriente ensemble sur ce que le visuel va être au final. Je n'ai pas la prétention de dire que je connais le cirque par exemple, je ne suis qu'un spectateur, mais le cirque est beaucoup plus varié aujourd'hui, la possibilité de faire une affiche dessus est peut-être beaucoup plus large. Je n'ai donc pas forcément à m'"adapter" car je ne suis pas en dehors. le résultat final découle de 2 ou 3 mois de concertations et même si je suis influencé par une certaine iconographie cirque,je ne peux pas m'en servir car il n'est pas question ici de cirque traditionnel avec animaux etc. Mon travail de graphiste-illustrateur s'est forgé au fil des années en même temps qu'a évolué la scène culturelle auscitaine, c'est à dire qu'ils ne sont pas venus me chercher parce que mon style correspondait à ce qu'ils recherchaient, ça a vraiment
été un travail et une évolution commune au fil des années, ce qui constitue un travail hyper précis mais finalement très libre et ouvert.
Quels projets pour 201O? Vous avez également une boutique en ligne? Que peut-on y trouver?
Oui je peux vendre des supports dans une boutique en ligne, ça peut être carrément une oeuvre comme une toile ou une illustration sur papier encadrée, ou bien un print numérique, des t-shirts sérigraphiés que j'ai fait, des affiches, flipbooks, mes bouquins... il y en a pour tous les prix suivant le support, mais ça reste très underground et do it yourself.J'ai passé l'année 2009 à faire des expos un peu partout ce qui fait que je ne vais pas en faire en 2010, je vais me reconcentrer sur plusieurs projets, la plupart étant des livres. Je travaille actuellement sur une grosse BD dont le scénario m'a été fourni mais j'ai parallèlement à ça presque fini deux bouquins pour enfants, deux livres d'illustration...et une fois tout ça achevé, je voudrais reprendre un film d'animation abandonné (en volume et marionnettes celui-ci) qui sera accompagné en même temps d'un bouquin, sous forme de roman graphique. Depuis la fin des années 90; j'édite des petits ouvrages d'illustration DIY avec Presse à Grumeaux donc je vendrais sûrement les futurs petits bouquins illustrés dans la boutique évidemment. Quasiment tous les bouquins (Gutter, Isabelle Boinot, Lars Henkel, Sarah Malan, moi-même..) que j'ai édité étant épuisés, ils ne sont disponibles que sur des stands de salons du livre ou de zines, mais pas en ligne. Ceux à venir le seront assurément.
Interview de Jérôme Garcin par Julie Cadilhac- bscnews.fr / Illustrations Arnaud Taeron / photographies Pierre Gable.
Dès lors que l'on a gardé un contact moelleux quelques heures avec l'écriture de Jérôme Garcin, on s'exalte sur le lyrisme de sa plume et sur ses mots gandins qui n'hésitent pas à nous immerger dans un vocabulaire équestre érudit. Pourtant c'est avec le mot "juste" que cet écrivain définit ses voltes littéraires et l'on ne peut qu'acquiescer devant cet adjectif tout aussi humble que rigoureux. Son dernier roman " L'écuyer mirobolant" est une nouvelle déclinaison de sa passion pour les chevaux sur fond de paysages d'Afrique du Nord et des Landes françaises. On y rencontre Etienne Beudant, incarnation de l'écuyer idéal dont l'amour fiévreux pour les équidés force l'admiration et contamine le lecteur néophyte. Plaisir donc de rencontrer son créateur et d'obtenir quelques clés de lecture sensible. Une interview où la plume se démasque, où le mors se relâche le temps de quelques confessions, où le bucolique souffle comme un parfum exaltant sur nos jours citadins et où l'on finit par souhaiter que le galop de la plume de Jérôme Garcin poursuive sa course encore longtemps!
Le titre "l'écuyer mirobolant" est-il un pied de nez à la modestie de son personnage principal? Etienne Beudant aurait-il apprécié le compliment?
Pour tout vous dire, je pense que même si Beudant était effectivement tel que je l'imagine - puisque j'ai plus rêvé sa vie que je ne l'ai racontée dans la réalité - même s'il était très humble - ce qui est pour moi une loi fondamentale de l'équitation- je pense qu'il l'aurait aimé parce que j'ai clairement emprunté le titre au général Decarpentry qui a vraiment dit de Beudant qu'il était un écuyer mirobolant. Venant de Decarpentry qui était un homme de cheval, Beudant l'aurait non seulement accepté mais reconnu. En plus, mirobolant est un mot très joli parce qu'un peu daté. C'est le mot qu'a utilisé Decarpentry pour exprimer sa fascination pour un cavalier hors norme - c'est évidemment un éloge mais qui fait allusion à la magie de l'art de monter de Beudant.
L'écuyer mirobolant nous entraîne en Afrique du Nord : y-avait-il dessein de rendre hommage à des pays dont la culture vous émeut ou était-ce simplement le besoin esthétique de placer le personnage dans un cadre plus "exotique"? ou était-ce simplement par conformité historique?
La première raison est historique: le jeune Beudant est nommé d'abord en Algérie ensuite au Maroc et il va passer vingt cinq ans de sa vie en Afrique du Nord. C'est une vérité historique, je n'ai vraiment rien inventé.L'essentiel de sa vie de petit militaire - il était capitaine de l'armée française - aura été de servir en Algérie et au Maroc; il n' y a donc pas de choix exotique, c'est une réalité. Cependant c'est une culture qui a avec le cheval une relation passionnelle et de manière générale, les chevaux Arabes -qui sont à l'origine de toutes les races - ont avec leurs cavaliers des relations exceptionnelles. Donc je voulais insérer dans le décor cette relation historique. J'ajoute aussi que l'art de Beudant - et là, pour le coup, quelques photos l'attestent de manière très forte - a été précisément de pousser le génie jusqu'à faire de ces chevaux barbes - qui sont la race majoritaire dans ces pays du Maghreb - de véritables oeuvres d'art, y compris les chevaux abimés, cassés, fatigués, malades...et quand on le voit monter ces chevaux qui sont faits pour l'endurance, pour le terrain mais pas tellement pour la haute école, on constate qu'il a réussi à obtenir de ces chevaux qui ne sont pas faits pour ça des figures époustouflantes. Connaissant ces chevaux du Maghreb, nous avons donc la possibilité de juger de ce qu'était véritablement le génie d'Etienne Beudant. Arrivé à Dax, presque au milieu de sa vie, il a eu le regret de l'Afrique du nord mais aussi des chevaux qu'il montait dans ces paysages d'Afrique du nord car il y avait quelque chose là-bas de l'ordre de la mystique, il avait trouvé sa seconde patrie.
Lors de la sortie de votre roman "cavalier seul", vous parliez de cesser d'écrire sur les chevaux : qu'est-ce qui vous a remis en selle?
La passion chez moi pour les chevaux tourne un peu à l'obsession et j'ai eu le sentiment qu'après La chute de cheval, Bartabas roman et Cavalier seul, j'avais fait le tour de tout ce que je voulais écrire sur la question et qu'aller au delà, ce serait abuser de la sympathie, de la curiosité ou de l'intérêt des lecteurs et donc j'avais pris cette décision qui répondait à une réalité toute simple: j'ai mal vécu de devoir me séparer de mon cheval parce qu'il était arthritique et que je ne pouvais plus le monter aussi je me suis dit que si j'arrêtais de monter ce cheval qui est mon cheval, de la même manière j'arrêterai d'écrire sur les chevaux parce que les deux sont liés. C'était donc une décision parfaitement raisonnée mais la passion a pris le dessus. Contrairement à ce que je disais, j'ai continué à monter plus que jamais après avoir mis mon cheval au pré, même si je n'ai pas repris de cheval - je monte les chevaux des autres. Je monte toujours autant et de la même manière, je me rends compte que je suis incapable de ne pas écrire sur les chevaux qui sont pour moi beaucoup plus que des chevaux: je leur dois énormément, c'est grâce à eux que je me suis mis un jour à écrire. J'avais envie de continuer; c'est un peu comme lorsqu'on est au galop, on n'a pas forcément envie de s'arrêter, on a envie de continuer - donc, effectivement, vous avez raison, je n'ai pas tenu parole et j'ai voulu encore me faire plaisir.
Vous racontez les chutes de Beudant: dans quelle mesure l'accident est constitutif de tout cavalier? Pas de vrai cavalier sans chute? Doit-on lire cette passion équestre comme une métaphore de la vie en général?
Oui, évidemment, raconter la vie des hommes, c'est aussi raconter la vie de ceux qui montent, la métaphore est évidente. Pour ce qui est des chutes, d'abord, c'est vrai, on ne monte pas sans tomber, quel que soit son niveau, qu'on soit simple cavalier ou Bartabas, on tombe : c'est une réalité. Dans le cas de Beudant, j'ai été bouleversé par l'idée que cet homme avait tout sacrifié aux chevaux et que c'est au moment où il arrivait au sommet de son art qu'il a du, brisé par ses chutes, y renoncer. Pour un homme qui vivait depuis son plus jeune âge sur quatre jambes, le fait d'être paralysé, cloué dans un fauteuil roulant et vivre pendant vingt cinq ans avec des béquilles ou dans un fauteuil est la chose la plus terrible qui soit. En fait, le vrai sujet du roman , c'était cela: comment peut-on survivre à une telle passion quand on ne peut plus l'exercer? Pour moi, c'est comme si l'on avait coupé la main de Van Gogh au moment où il était dans la plénitude de son art ou la main d'un grand interprète ne pouvant plus jouer Bach. Aussi comment Beudant peut survivre à sa passion est le sujet de ce roman. La chute de cheval, c'est le titre de mon premier livre et dans mon cas particulier, la chute de cheval, c'est celle aussi dont on ne se relève jamais. C'est le cas de mon père qui s'est tué d'une chute de cheval en forêt et c'est vrai que, contrairement à mon père, Beudant s'en est relevé, il a continué à vivre et je crois qu'écrire sur Beudant, c'était aussi une façon pour moi de prolonger ce qui est peut-être la scène originelle de tout ce que j'écris, c'est à dire mon père tombant dans la fleur de l'âge- puisqu'il avait quarante cinq ans- d'une chute mortelle. Evidemment que chez moi, la chute de cheval n'a pas le même sens que chez d'autres, sans doute qu'en me mettant à devenir cavalier, j'ai le sentiment de prolonger le galop au cours duquel mon père a été à tout jamais arrêté.
La chute de cheval est l'origine de tout car elle raconte comment j'ai construit sur ce deuil : j'avais dix-sept ans, mon père quarante cinq ans, son cheval s'emballe en forêt de Rambouillet il tombe et il meurt, et évidemment le paradoxe est que pendant un temps fou j'ai repoussé, j'ai fui, j'ai ignoré les chevaux et un jour, longtemps après, j'ai renoué avec eux, j'ai monté et d'une certaine manière j'ai fait la paix avec mon passé et avec cette chute originelle. Donc je ne peux pas répondre à votre question sans évoquer la scène fondatrice de tout ce que j'ai écrit depuis et qui est aussi la raison pour laquelle j'écris, parce que c'est en montant à mon tour à cheval, tardivement - j'avais une trentaine d'années - en comprenant aussi ce qu'avait été la passion de mon père que j'ai commencé - la selle servant de divan - à raconter des choses que peut-être je n'aurais jamais racontées sans le cheval. Il a été l'instrument de ma propre confession. Le cheval m'a permis de libérer des choses que je gardais pour moi , j'ai donc à son endroit une gratitude qui va bien au delà de la simple reconnaissance de cavalier, je lui dois le bien finalement.... et le meilleur.
Quelles figures équestres prisez-vous? Le piaffer, le pas espagnol, le trot et galop arrière? Y-en-a-t-il une, mythique, qui reste un fantasme jamais concrétisé?
La figure la plus incroyable, la plus mystérieuse, la plus difficile, c'est le galop arrière. Beaucoup de grand écuyers l'ont pratiqué mais le seul que j'ai vu l'exécuter magnifiquement sur deux chevaux différents, c'est Bartabas. C'est une figure prodigieuse parce qu'au delà de sa difficulté technique, elle renverse toutes les lois de la nature. Galoper, c'est aller devant or là, galoper c'est aller en arrière. Cela me rappelle toujours un mot d'Etienne Beudant dans un de ses traités - et là encore c'est une métaphore de la vie - "il faut pousser en avant même pour faire reculer". La figure du galop arrière demande à avancer au petit galop puis au galop rassemblé puis au galop sur place et ensuite petit à petit en gardant la même allure, la même assiette du galop sur place, on passe au galop arrière.
Vos lignes sont sculptées, limées, ciselées, chaque image (- Robersart II " le vitrail d'une basilique de muscles" - "Les arbres avaient la transparence d'un verre filé de Venise" - " Cet étranger empruntant à la fois au militaire à la retraite et au Touareg en exil" ) est un "rêve flottant" de perfection. Ecrire, selon vous, comme monter à cheval nécessite une élégance, des exigences pointues et sévères qui justifient l'utilisation d'un vocabulaire soutenu et d'expressions équestres méconnues du néophyte? Pensez-vous qu'il est bon que la littérature soit un rien inconfortable? Avez-vous un modèle de perfection qui vous semble expliciter au mieux tout le respect que l'on doit aux mots écrits?
L'élégance, je ne sais pas ce que c'est, en revanche je crois profondément qu'il y a un rapport entre l'écriture et l'équitation. Si vous regardez un grand cavalier, quelle que soit la figure qu'il dessine avec son cheval, on se demande toujours comment il fait, la main et la jambe semblent ne pas bouger, il y a un mystère. Le corps ne bouge pas, il semble être dans le cheval et ça, c'est pour moi l'idéal littéraire, c'est à dire que même pour obtenir l'équivalent littéraire d'un piaffer ou d'un galop arrière, il faut que tout le travail ne se voit pas et que l'on ne voit que le résultat. Il faut que l'écrivain puisse donner la même illusion de facilité et que l'on ne voit pas la sueur, le travail, les efforts inouïs que l'on a dépensés pour obtenir cette phrase juste. Quand un cavalier est un bon cavalier, on dit qu'il est juste. Je crois que c'est pareil pour l'écrivain. Moi je n'aime pas ce qui est flottant, j'aime la justesse, l'exactitude, c'est la raison aussi pour laquelle, même si on est un peu un néophyte, je trouve que le vocabulaire équestre est un très beau vocabulaire et que, même s'il n'est pas forcément clair, il a l'avantage d'être précis. J'aime une grammaire sans graisse: certes, parfois il faut utiliser des métaphores pour rendre compréhensible. Beudant, par exemple, pour définir l'impulsion à cheval , disait que "c'est le vent qui souffle dans les voiles du navire", il disait aussi pour l'obéissance à l'éperon que c'est "celle du fils à son père". Donc parfois il faut traduire, évidemment, cela dit je crois que monter bien, c'est monter juste et qu'écrire bien, c'est écrire juste. Et dans les deux cas, c'est épargner au lecteur, comme le grand cavalier épargne au spectateur, tous les efforts que cela lui a couté.
Vous consacrez effectivement de longs passages à une réflexion sur l'écriture: quel est l'enjeu de cette mise en abime? le désir de formuler un constat qui grossissait dans votre expérience d'auteur?
Parce que c'est dû à ma propre expérience, monter et écrire sont deux verbes qui, chez moi, ont cohabité et, de manière un peu obscure pour moi, aujourd'hui, les deux activités sont indissociablement liées.Je ne peux écrire que quand je monte et je ne peux monter que lorsque j'écris. C'est très étrange et d'ailleurs j'ai écrit de nombreuses pages en partant deux -trois heures avec un cheval: je pense aux mots de Montaigne que j'avais mis en épigraphe de La chute de cheval "c'est à cheval que sont mes plus larges entretiens".Je fais partie de cette famille d'auteurs qui ont besoin que le corps se dépense à une altitude incertaine, entre terre et ciel, pour pouvoir faire travailler le cerveau et avancer le livre. C'est la raison pour laquelle je n'écris jamais à Paris, uniquement à la campagne, quand je suis près de ces chevaux et que je suis dans cet état qui me place un tout petit peu en dehors du monde réel.
Etienne lit beaucoup: y-a-t-il, sciemment, une sorte de croisade pour le livre , une nostalgie intrinsèque dans cet hommage régulier à la lecture et aux grands auteurs? Comme beaucoup, déplorez-vous la chute des ventes en librairie ou pensez-vous que les générations nouvelles se construisent à partir d'autres supports que l'objet livre? Etes-vous optimiste?
Je fais lire beaucoup Beudant; dans la réalité je ne pense pas qu'il ait lu autant. J'ai fait récemment édité et j'ai préfacé la grande anthologie de Paul Morand qui s'appelle Anthologie de la littérature équestre chez Actes Sud qui montre depuis la Renaissance italienne jusqu'au vingtième siècle, les grands artistes du cheval ont toujours été des écrivains qui avaient besoin de transmettre leur savoir et j'avais envie d'inscrire Beudant dans cette histoire-là.
Quant à la chute des ventes en librairie, moi je suis un peu frappé par le contraire. Par mon métier de journaliste, ça fait plus de trente ans que j'observe l'évolution du livre en France, sa production, son édition, sa distribution . Je remarque d'abord l'incroyable résistance de l'objet-livre malgré tout ce que l'on avait annoncé - il était mort à l'époque où naissait Internet, il serait mort encore aujourd'hui avec l'Ipad et le numérique- pourtant l'objet livre fait une résistance assez phénoménale à tous ces courants soi-disant meurtriers. Evidemment que le numérique va changer les choses et qu'on lira de plus en plus sur écran et de moins en moins sur papier mais je pense que l'imprimé, même s'il reste minoritaire, restera toujours. Le livre, c'est comme l'équitation. Aujourd'hui en 2010, on n'a plus besoin des chevaux : il n'aide plus aux champs, à tracter les moissons, il n'est plus utile en ville, malgré tout il persiste: il y a de plus en plus de cavaliers, d'amoureux des chevaux et de la même manière, le livre résistera toujours. Moi je ne suis pas du tout pessimiste. Et si les générations qui viennent préfèrent lire sur écran que sur papier, moi ça ne me choque pas du tout. Pour autant on aura toujours besoin du rêve que procurent les écrivains. Maintenant, les bestsellers ont toujours existé et la vraie littérature a elle aussi toujours existé et elle n'a jamais été majoritaire. Au delà d'un certain succès, on est dans le malentendu de toutes les manières.
Ce roman peut-il lire se lire comme un plaidoyer pour l'authenticité? une réflexion sur le bonheur? Cherchez-vous à convertir? à prouver que l'équitation, au delà d'être un sport, contribue à un équilibre - " l'autorité sans violence, l'équilibre des forces, l'harmonie du corps et de l'esprit, la patience, l'opiniâtreté, le tact, la justice" - qui explique qu'aujourd'hui le nombre de cavaliers augmente et qu'il y a une recrudescence de l'intérêt porté aux chevaux?
En France, on considère qu'il y a environ 500 000 cavaliers et un million d'équitants: c'est une évolution croissante. Moi je pense - et ce n'est pas original- que l'équitation est une leçon de vie extraordinaire, que c'est une morale, même politique. Apprendre à gouverner une masse de cinq cents, six cents kilos avec de la douceur, avec ce que Beudant appelait "une main insinuante" , apprendre la conduite mais sans violence, sans domination des natures libres et égales, je trouve que c'est un programme formidable. J'y ajoute une donnée à laquelle je tiens beaucoup : l'équitation force - alors qu'on dit souvent que les cavaliers sont fiers - à l'humilité. On ne peut rien contre la force d'un cheval, si on n'est pas humble, on se casse la gueule, il faut accepter que le cheval est plus fort et que pour se faire comprendre de lui, pour devenir son allié, il faut accepter l'humilité.
Pour moi le cheval est un instrument de musique sublime. Mais si je devais trouver de véritables raisons de convertir, je dirais qu'aujourd'hui, de manière tout à fait scientifique, on voit les bienfaits de l'équitation. Les médecins ont inventé l'équithérapie dont on sait combien -aussi bien dans le cas des handicapés moteurs que mentaux - le cheval est un formidable instrument de soin et d'aide. Et puis le cheval, avec peut-être la mer, est encore une des dernières aventures que l'homme peut encore vivre, avec l'illusion d'être aussi bien au XXIème qu'au XVIIIème siècle, aussi bien en France qu'à l'étranger. D'ailleurs ce n'est pas un hasard si le cheval est un langage universel. J'ai beaucoup voyagé, monté un peu partout et je peux vous dire que je parle cheval aussi bien en Tunisie ou au Maroc qu'aux Etats-Unis. C'est quelque chose qui unit les peuples et les cultures sans aucune distinction de classe, c'est quelque chose d'universel et ça, je trouve que c'est une des plus belles choses que l'Histoire ait donné à l'humanité.
Etienne Beudant est aussi intègre qu'Hérault de Séchelles est opportuniste. Le premier ne connaîtra pas l'amour, l'autre y aura droit comme un miracle. L'un est au coeur de l'action ,l'autre en est toujours écarté. Diriez-vous que vous aiguisez volontairement les caractères de vos personnages?
Dans les deux cas, il y a un peu de caricature. J'ai fait de Hérault de Séchelles une caricature du cynique car ça m'amusait beaucoup de montrer que la palinodie politique, le fait de changer de veste à chaque tournant n'est pas l'apanage de nos politiques d'aujourd'hui et que c'était vrai aussi à cette époque. Hérault de Séchelles est capable de passer du roi au comité de salut public avec un sorte d'indifférence impressionnante. J'ai voulu noircir le trait parce que je trouvais amusant littérairement parlant de me glisser dans cette peau. De la même manière, c'est vrai que je pousse un peu le personnage de Beudant qui était un admirable écuyer - ça , c'est incontestable - mais j'en ai fait une sorte de mystique, d'amoureux d'absolu, d'idéaliste, un pur parmi les purs.
Il y a un véritable lien entre ces deux personnages et ceux de tous mes autres livres qui ne sont pas des romans. Je pense à Gérard Philipe dans Théâtre intime, à Jean Prévost, à mon propre père, tous ont en commun mais ça, on ne le voit pas forcément à l'oeil nu, qu'ils ont eu des vies brèves et arrêtées. Je considère, en effet, que la vie de Beudant s'arrête quand il descend de cheval pour la dernière fois. Hérault de Séchelles est guillotiné à trente quatre ans, Jean Prévost meurt dans le Vercors les armes à la main à quarante ans et pour des raisons plus personnelles, la mort de mon frère jumeau, mon père qui se tue de cheval à quarante cinq ans, la mort à l'âge de trente six ans du père de ma femme, Gérard Philipe, que sans doute, de manière inconsciente , j'ai du mal à faire vieillir les personnages. J'ai toujours le sentiment que j'aime raconter des vies brèves, qu'elles soient réelles ou imaginaires et où j'ai le sentiment que plus elles sont brèves, plus elles sont pleines. Le vrai lien entre mes personnages, c'est cela, c'est un combat contre le temps incessant et la vraie question est: qu'est ce qu'on fait de sa vie? à quoi ça sert? C'est autour de ces questions-là que tournent les obsessions.
Vos personnages sont-ils toujours volages dans l'âme? Est-ce une nécessité pour le héros romanesque ce détachement des femmes? ce besoin de butiner? Est-ce parce qu'il est incompatible de se donner tout entier à un cheval et à une femme?
C'est vrai que mes personnages sont le portrait d'êtres qui ont tout sacrifié à leur art, à la passion ,à leur engagement politique, à leur foi et que ça se paye. En même temps, on pourrait donner en contrepoint le livre que j'ai écrit qui s'appelle Théâtre intime qui est consacré à ma propre passion fixe, qui est celle que j'ai pour ma femme, Anne-Marie Philipe, depuis plus de trente ans donc, vous voyez, ce n'est pas aussi simple que ça. Cela dit, c'est vrai que dans le cas de Beudant, j'ai imaginé que cette féroce, ardente, folle et puissante passion du cheval passait par le sacrifice de tout le reste. Il n'y avait pas la place pour une femme aimée et une passion qui occupait tout.
Enfin le magazine, ce mois-ci, ouvre un dossier spécial Amérique : vous évoquez Buffalo Bill dans ce roman et Etienne entretient une correspondance avec Calamity Jane: dans quelle mesure l'Amérique et ses cow-boys fascinent-ils le cavalier que vous êtes?
Bien sûr que ce pays de cavaliers, je dirais même de centaures, me fascine: on ne sait plus, quand on regarde un western, que ce soit côté indien ou cowboy, où s'arrête l'homme et où commence le cheval. Dans le cas de Calamity Jane, j'avais été ému par les lettres que j'avais lues d'elle, j'ai donc greffé de manière naturelle et en même temps un peu artificielle une correspondance entre Beudant et elle, qui est totalement imaginaire. C'est un pays où le cheval est roi, un pays d'immenses étendues dont je persiste à penser qu'elles ne sont vraiment explorables qu'à cheval. Il y a d'ailleurs un bouquin formidable dont on parle rarement qui exprime un peu ce que je vous dis là et qui se nomme Autobiographie d'un cheval de John Hawkes dans lequel il parlait à la place d'un cheval, à la première personne du singulier. Et s'il le faisait si bien, je pense que c'est parce que John Hawkes appartient à ce pays, à ce peuple où l'homme se confond avec le cheval.