Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
6 novembre 2009 5 06 /11 /novembre /2009 13:13

Elle avait un coeur en braille plongé dans une obscurité brutale et paralysante, un ventricule impénétrable pour tout inconnu qui se serait risqué à le déchiffrer.

Aussi tenter d'en faire une traduction écrite s'était révélé une solution envisageable pour que ses saignements et ses contusions soient accessibles et lisibles par tous.

Une démarche peut-être égocentrique mais salvatrice, une expérimentation certes téméraire mais positive.

Elle espérait reprendre le dessus sur ses émotions emballées par l'exorcisme de la plume. Une sorte de thérapie.

S'expliquer, se décrypter à la curiosité du lecteur flâneur sans parcimonie, exhiber l'intérieur d'elle-même en un outrageux roman sans pudeur aucune était un parjure à son entière nature.

Ophélie aspirait à être devinée, attrapée lors d'une de ses fantasques promenades intellectuelles et saisie immédiatement, en un regard, un souffle.

Ennemie farouche des altercations et des exégèses, elle aurait voulu ne jamais avoir à ne mettre de points qu'au dos de phrases exclamatives. Elle qui avait toujours crayonné des coeurs au dessus de ses i , prolongements volontaires d'une voyelle tournée vers le ciel.

Ecrire pour conjurer la dépendance maladive que son âme souffrait pour Romain. Imaginer une possibilité neuve d'être le propre tyran de son coeur et de le soumettre à des lois sévères et protectrices. 

 

Mais l'auteur, qui l'avait tenté avant elle ,dans quelque autobiographie médiocre laissée au fond de quelque carton sale aujourd'hui, savait bien que vouloir être  maître de son coeur, dès lors que Cupidon s'en mêle , c'est  comme faire le pari impossible de sortir indemne d'une tentative inconsciente:  gravir  une chaîne de  hautes montagnes sur laquelle le hasard peut, à tout moment,  jeter un sort irréversible: tous les alpinistes  -même les plus confirmés- deviennent  des grimpeurs  aveugles qui tentent désespérement d'atteindre le sommet...L'enfant espiègle se moque bien de nos frilosités.

       

         Avoir la mainmise sur le siège de nos sentiments, poursuite épuisante et ardue, est un objectif tôt ou tard promis à un échec cuisant et irrémédiable, car le prémunir de l'ascendant hypothétique d' autres âmes pernicieuses est irréalisable si ce n'est de concevoir un repli monacal.

Il serait effrayant de découvrir les statistiques du nombre moyen d'attaques qu'un coeur subit dans sa vie de carde: et même si on le chaperonne, le cuirasse, l'escorte, le fortifie en l'initiant aux possibles emprises dominatrices qu'il pourrait avoir à endurer , force est de constater cet échec intemporel cuisant: on ne l'y soustrait pas.

Notre coeur est une terre éphémère et fragile  maintes fois mises en péril par des colonisateurs malveillants ou arrivistes. On y puise et l'épuise jusqu'à ce que sa surface épidermique se déssèche et ne produise plus rien. A force d'abuser de ses ressources, elle finit par offrir un visage sec et terne, inhospitalier. Cet Eldorado, don fait à chaque homme, est malmené par des pelles, des pioches qui creusent sans répit pour extirper son énergie aurifère. Beaucoup d'entre eux se sont éteints par inconscience et maltraitance.

Qui accuser? Aussi bien les autochtones que les sauteurs de proue conquérants.

Que faire? Il est donc impensable de construire un rempart infranchissable, de rester inaccessible...et d'adopter un politique intérieure draconnienne de conservatisme?

Non, car le coeur n'est pas né pour végéter ni pour s'isoler.

Il n'est pas une terre à laisser en jachère. Il a besoin de rassembler, de construire et non pas en autarcie. C' est une esperluette sanguine. Une corde de rappel sur laquelle les cordelettes de plusieurs alpinistes peuvent s'enrouler: noeuds prussiques et baudriers peuvent s'assurer en toute confiance aux brins cardiaques  inextricablement liés de ce muscle infatigable.

 

 

           Ophélie avait entrepris un travail titanesque de réminiscence de souvenirs, broyé l'ensemble avec un zeste d'amertume et de grandes cuillerées d'ironie et fait cuire le tout pour homogénéiser et aboutir à une recette trés personnelle dont elle redoutait le jugement des consommateurs possibles . Bon,  ça ,pour être honnête avec elle-même,  ça avait été la partie la plus simple, ultime déversement d'irascibilité et de détresse....la partie la plus courte aussi parce qu'après,  la période de gestation avait été terriblement longue: Ophélie avait été assaillie par une angoisse incontrôlable de s'exposer aux yeux de tous.

Il lui semblait transparent que n'importe quel lecteur comprendrait immédiatement qu'elle parlait d'elle, qu'elle se mettait totalement à nu, que c'était AUTOBIOGRAPHIQUE. Cela s'entendait, rabachait-elle, le pouvoir suggestif des mots: tout trahit son proférateur. Et soudain cette exigence de se livrer pour mieux faire disparaître l'ancienne Ophélie, celle qu'elle détestait par ses faiblesses intestines, l'apeurait. Alors, heureusement qu'il y avait eu Benoît,son meilleur ami,  pour la rassurer....pour lui faire réaliser à quel point elle était subjective. Qui d'autre qu'elle pouvait savoir que cette expérience surréaliste, avorton mesquin et insupportable à vivre que lui avait enfanté Romain,  avait tout de réel? Et il avait ajouté simplement d'un rire adorable et doux qu'il était naturel d'appréhender une nouvelle page de son existence.


           Aujourd'hui , enfin, elle allait l' éditer ce manteau herculéen qui l'avait empoisonnée et étouffée pendant trois ans. Un peu de maïeutique socratienne, une franche prise de risque digne d'un champion d'escalade et..... le monstre MALIGRAPHIQUE était né. 

Choix de la police, de la mise en page, de la présentation de la première de couverture, traitement des illustrations. Ne restait que la partie ludique à accomplir maintenant.Et elle se sentait soudain légère, délestée de toutes ses appréhensions.

               

             Le 4 décembre 2006, elle avait enfin été contactée par une maison d'édition: votre travail nous plaît! Ô cri déchirant de l'âme étouffée par trop de larmes contenues, Ô soupirs de soulagement et de bonheur à être enfin reconnue, Ô tremblements réprimés mais chers des mains récompensées! Quelqu'un avait aimé, un individu de chair et de sang avait vibré de ses mots et de ses images qu'elle jugeait elle-même un peu ampoulées....Elle se rengorgeait d'avoir pu faire de l'effet avec son style facile et lourdement emphatique et qui respirait le sentimentalisme à plein nez. Mais soit, elle s'était bien gardée de toute réflexion inopportune et le jour de l'entretien s'était contentée de sourire et d'acquiescer avec ferveur , genre promise docile et conciliante qui ne veut surtout pas faire de faux pas , genre duo de  funambule -trapéziste au moment du triple salto arrière dit de la mort qui tue, tambour battant, coeur à la chamade, pulsations à trois mille . Et ça avait fonctionné, bingo, elle était le nouvel auteur OPHELIE TEADORA, bientôt célèbre dans la France entière....

Quoi? elle n'avait pas le droit de rêver! Fichu lecteur rabat-joie!  

               

Partager cet article
Repost0

commentaires

Décalée par Julie

Rechercher

Il suffit de cliquer...

Visites sur le blog décalé




Pour se sentir moins seul...

13406520-19661145

Write Spirit!