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30 juin 2009 2 30 /06 /juin /2009 17:45


"Dans ce quartier, il suffit d’apercevoir dix orteils joliment disposés en arc de cercle et tout mouillés sur le pavé bleu pour que votre cœur soudain bondisse comme un oiseau qui prend son envol".

C’est un roman qui pourrait céder à la caricature. Zaza, Anne-Fleur, Andromaque, Zénaïde, Sarah-Jessica, Cybilline, V.I.P  de la communauté transexuelle tourangelle, pourraient orchestrer une parade qui pétarade de strass, de faux - cils et de faux - culs provocateurs…le genre «  Bienvenu chez les T-Girls » désespérément  cliché. Eh bien non ! Le choix de Juliette est d’abord diablement instructif : on plonge dans une réalité médicale, sociologique, psychologique terriblement documentée et qui bouleverse et force à la TOLERANCE. On comprend mieux les déboires et la difficulté d’insertion de  « celles qui passent ou ne passent pas ».
 Et j’ai pensé aussi à cette pièce touchante et forte d’Emmanuel Darley, le mardi à Monoprix, qui narre le quotidien d’un Jean-Pierre-Marie-Pierre qui essaie désespérément d’être enfin « vue » par son vieux père.*
Ici tous les personnages féminins qui s’agitent sans façon sur la toile de vie de Juliette nous touchent : Betty, la dame hippopotame en tutu, Claudia qui tapine en string panthère C’est du suicide. Un jour elle se fera égorger mais c’est ce qu’elle attend. Andromaque, papa perturbé par la maternité de son ex-femme ou encore Rose-Jasmine,
maman immature et suicidaire, sans fric, sans espoir, sans but.

Un univers de femmes. Où les hommes n’ont pas la part belle, souvent instigateurs de perversités en tous genres, violence et irrespect. Et les mots de Juliette noient, assassinent les pulsions masculines égoïstes…et c’est d’autant plus contradictoire qu’ils caressent la voix chaude de femmes encore dotées d’un appendice des plus virils.
Pourtant, même derrière l’histoire tragique de Betty, l’écriture s’applique avec une intelligence remarquable  à ne pas trop juger sévèrement les salauds qui n’assument pas. L’enjeu  semble autre : faire de ces êtres des femmes qui ont droit à une légitimité de leur statut. Bon sang, pourquoi , elles qui s’usent à se féminiser, n’auraient droit qu’à des regards malveillants et à des rires mauvais ?!
Ballotté entre réunions gourmandes de l’intelligentsia transsexuelle, la parenthèses câline dans le palais de Scherazade  et les tribulations salaces dans les rues mal famées de Tours, on réfléchit malgré soi à son propre identité sexuelle, on réalise que   la connerie n’a pas de sexe décidément et on retient cette vérité de la fée Zénaïde On est toute seule dans sa peau, Juliette. Sage ou folle, on est seule. Sois folle, va !

"Il arrive, il peut arriver, dans l’histoire du sujet, qu’à un moment donné toute l’épaisseur du réel s’interpose entre la jouissance narcissique de son image et l’aliénation de la parole ».

*Extrait de «  Le mardi à Monoprix » d’Emmanuel Darley(…)

Le mardi j’ai posé comme jour. Je ne sais pas bien pourquoi. C’est le jour où je viens pour faire tout ce qu’il ne fait pas. Tout ce qu’il laisse lentement filer. Je lui fais son ménage sa vaisselle sa lessive. Je range. Je nettoie et j’aère.

Il reste là à rien trop dire. Il me détaille. Il me suit d’une pièce à l’autre. Je fais comme si même si.

Il dit Jean-Pierre.

Bonjour Jean-Pierre.

Merci Jean-Pierre.

Non je lui dis.

Marie-Pierre je lui dis.

Il dit Jean-Pierre un point c’est tout.

Marie-Pierre désormais je lui dis et redis. Répète-le je dis. Dis-le je lui dis. Allez je dis.

Marie-Pierre. Marie-Pierre d’accord ?

Il sourit.

Il dit J’ai soif.

Il dit Passe moi donc un verre d’eau.

Il a toujours fait ça.

Ordonner commander tendre le bras sans même ouvrir la bouche pour que l’on vienne le servir.

Je lui porte un verre d’eau je vais au robinet trois pas et je reviens trois pas pas bien compliqué pas bien fatigant il pourrait le faire lui même.

Pas encore impotent.

Je repasse. Je range bien son linge dans l’armoire et aussi les tiroirs.

Je dis Je ne pensais pas un jour ranger ton linge.

Il dit Tout de même Jean-Pierre.

Un pantalon tu pourrais mettre un pantalon.

Mon nom je lui dis c’est Marie-Pierre.

J’essuie sa vaisselle avant de la ranger dans le placard de la cuisine. J’aime bien essuyer la vaisselle avec un linge propre. Il y a dans sa vaisselle que j’essuie les assiettes que l’on avait avant avec maman quand j’étais petit. Petite quoi c’est vrai déjà j’étais telle quelle à l’intérieur j’étais petite oui même si petit on disait et j’aimais déjà ranger les assiettes ou bien mettre la table et maman elle disait C’est gentil de m’aider ainsi et moi j’aurai voulu faire en plus la vaisselle.

Tout de même Jean-Pierre il disait.

Toujours je l’ai entendu dire ça.

Tout de même.

Toujours sur le chemin dans le train et puis ensuite de la gare à chez lui je cherche mes mots je cherche de quoi on pourrait bien causer je fais des phrases j’avance des choses je pense oui ça c’est bien je pense Je vais tout lui raconter mettre les choses à plat pour que ce soit plus simple que je sois délivrée et puis devant lui devant ce silence qui s’impose je ne sais plus.

Peut-être qui sait lui aussi à se chercher les mots à se dire aujourd’hui je lui dis ci et ça et puis non.

Le mardi quand c’est bien propre la maison la vaisselle il est temps de penser aux courses descendre dans la rue et pousser jusqu’à Monoprix Monoprix c’est bien pratique on peut y aller à la marche et on trouve toujours tout là-bas chaque mardi c’est là que l’on va chez Monoprix faire les courses ses courses à lui de quoi tenir toute la semaine.


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